mardi 21 août 2007

Moules musicales


Nous sommes récemment allés rendre visite à nos correspondants de Brazuca à Bruxelles. J'y ai rapidement découvert les 3 'incontournables': les bières, le chocolat et les moules-frites.

La bière et le chocolat belges font certainement partie des meilleurs du monde et on en trouve à tous les coins de rue. Le cas des moules-frites est déjà plus compliqué.

Même si faciles à trouver puisqu'au menu de tous les restaurants du centre, la question est de savoir où les déguster. Pour être sûr d'avoir un échantillon représentatif et principalement pour satisfaire mon côté 'Homer Simpson', j'ai commandé le plat à deux reprises. Une chaque jour.

Les moules-frites sont une sorte d'orgie culinaire. Il s'agit d'une énorme casserole de moules cuites et d'une portion non moins gargantuesque de frites.

Sans même un coup d’œil à la carte, nous commandons tous le même plat. La serveuse arrive rapidement, une gigantesque marmite sur son plateau, et la dépose sur notre table. "Oh la la, c'est énorme!". Elle en apporte deux de plus. Choqué, je comprends que la portion « maousse costaud » qu'elle venait de nous servir était en fait individuelle. J'aurais pourtant juré qu'elle était collective.

Je respire profondément et m'attelle à la tâche. J'attaque un à un chaque spécimen de ce cimetière marin. Des familles entières de moules avaient été décimées pour le plus grand bonheur d'un homo sapiens gourmand - moi.

Il faut avouer que c'était délicieux. Pourtant quelque chose me dérangeait.
Pas la bouffe, non. Le problème, musical, venait des baffles du restaurant d'où Julio Iglesias susurrait de sa voix d'éternel latin lover. Difficile à supporter. Si difficile qu'en y regardant rapidement j'aurais juré voir les moules se réfugier dans leur coquille. Ecouter Julio Iglesias était visiblement pire que l'enfer des fruits de mer auquel elles étaient promises par ma faute.


- Madame, est ce possible de changer la musique, s’il vous plait ?
- Pourquoi? Vous ne l'aimez pas?


L'air contrarié, la serveuse change de radio. Quelque temps après, nous gagnons la bataille en venant à bout de notre déjeuner.

Le lendemain, alors que je marchais seul dans le centre, la faim m'amena dans un sympathique petit resto -comprenez bon marché - et j'y réitérais la commande.

- Des moules - frites, s’il vous plait


A peine le plat atterrit sur ma table que, comme dans un film, quelqu'un allumait la musique. Entre une bouchée de moule et une bouchée de frite, je reconnus la voix qui allait accompagner mon déjeuner. C'était encore lui, le père spirituel de Ricky Martin, le fond sonore des centres commerciaux. Lui, Julio Iglesias, plus mielleux que jamais.

J'avalais presque une coquille sans faire exprès. Mais pourquoi, Diable, ça m'arrivait de nouveau? J'appelais le serveur.

- Monsieur, serait-ce possible de changer la musique?
- Je suis vraiment désolé, mais non, ce n'est pas possible.
- Ah bon! Mais pourquoi?
- Parce que tout le monde, ici, adore Julio Iglesias.
- A-do-re Julio Iglesias, comment est-ce possible?
- Vous ne comprenez pas,
dit-il une main devant la bouche et l'autre entre les jambes dans une position éloquente empruntée à l’idole.

Sur ce, l'autre garçon reprit le geste. Me voilà, une moule dans la bouche en face d'un duo de chanteurs espagnols se tenant les roupettes dans un bizarre numéro de karaoké. L'un d'eux utilisait un couteau en guise de micro.

J'étais si mal à l'aise que j'aurais volontiers enfoui ma tête dans la marmite de moules si elle n'avait pas été si chaude. J'ai fini de manger, demandé l'addition et suis sorti.

Dans mon carnet de voyage, j'écrivais:
Bruxelles - Leffe, chocolat Leonidas et moules-frites.
Demander ces dernières sans Julio Iglesias.

vendredi 10 août 2007

3e Guerre Mondiale


- Quels sont les points qui délimitent l'avenue des Champs-Élysées? demande Monsieur Gérard.

- L’Arc de Triomphe et la Place de la Concorde, s’est empressé de répondre un Algérien fraîchement entré dans le groupe et qui s’est rapidement révélé un «Monsieur je sais tout» de premier ordre.

- Très bien! Et quelqu’un sait combien de rues arrivent au rond-point de l’Arc de Triomphe?

- Six, sans aucun doute!
affirma-t-il.

Tout le monde connaît un «Monsieur je sais tout». C'est celui qui s’estime plus intelligent que les autres et parle sans s’arrêter. Principalement lorsque personne ne lui demande son avis.

Celui-là est ingénieur, la soixantaine, habitant à Paris depuis des lustres et parlant un Français plus châtié que celui de Napoléon. Je n’ai aucune idée de ce qu’il fait dans notre classe.

Flatté de l’attention que lui accordaient les autres élèves, il s'est levé et a commencé à énumérer les rues, faisant les comptes sur ses doigts.

- Il y a l'avenue de Champs-Élysées, Wagram, Mac Mahon...
Ses yeux brillaient de bonheur, alors qu’il illustrait chaque voie de nombreux commentaires.

- Vous savez, j'ai travaillé à La Grande Armée, à la construction du métro.
- Ah l’avenue d’Iéna et sa merveilleuse pâtisserie, juste à côté de ce bar si sympathique.
- Et l’avenue Marceau, qui descend vers la Seine..


Son torse se gonflait au fur et à mesure qu’il fournissait des informations supplémentaires. Sa voix sortait de plus en plus ferme et assurée.

- 12, il y a 12 rues, surenchérit quelqu’un.
- Hein?
- Il y a 12 rues, c’est sûr.


Comme lors d’un match de tennis, tout le monde a tourné la tête en même temps pour voir qui le défiait. C’était une Russe, dont j’ignorais jusqu’alors qu’elle était douée de la parole. Non seulement elle parlait mais en plus elle esquissait un large sourire, révélant ainsi une demi-douzaine de dents en or. On aurait dit le méchant des films de James Bond. Malgré ça, tout le monde se mit à la supporter.

Le cours devenait tellement intéressant que deux assoupis se réveillèrent pour accompagner le débat.

- Madame, vous vous trompez complètement.
- 12 rues !
- Il y a les Champs-Élysées, Wagram, Mac Mahon, La Grande Armée, Iéna et Marceau.
- Il y a 12 rues.
- J’y ai travaillé des années. Il y a les Champs-Élysées, Wagram...


Le type commença à se perdre dans ses propres doigts tandis que la Russe, d’un ton monocorde, répétait la même sentence. Quand soudain elle sortit un plan de son sac.

- Nous allons compter, décida Monsieur Gérard, naturellement hissé au rôle d’arbitre.
- Un, deux...

L’Algérien suait à grosses gouttes. Son hégémonie était en jeu. En cas de victoire, son ego serait tellement gonflé qu’il rentrerait chez lui en volant. En cas d’erreur, il perdrait la divine place de professeur qu’il s’était octroyée.

- Trois, quatre...

La Russe riait, découvrant sa mâchoire millionnaire.

- Cinq, six...

La voix de Monsieur Gérard résonnait dans le profond silence dans lequel était plongé la classe. On entendait les mouches voler.

- ...onze, douze. Il y en a bien douze. Madame Pavlova a raison.

L’Algérien s’effondra. S’assit. Se leva. Demanda à voir le plan. Compta. Recompta. Se prit le visage dans les mains. Et se rendit compte qu’il avait réellement perdu la bataille. Plus vindicatif que jamais, il vit qu’il pouvait encore marquer une victoire. C’est alors qu’il lança une rapide contre attaque:

- Madame Pavlova, je suis sûr que j’ai raison. Accepteriez vous de m’y accompagner après le cours pour qu’on compte ensemble?
- Oui, pourquoi pas.


Timide, la Russe montra toutes ses dents dans le sourire le plus doré que j’aie vu de mon existence.

Mais elle prit soin de rappeler que la discussion de la salle de classe était belle et bien close.

- Mais qu’il y en a douze, il y en a douze.