vendredi 8 octobre 2010

Një Peja, të lutem


Jamais je n'aurais pensé mettre les pieds au Kosovo. Vous situez le Kosovo? Le plus jeune pays du monde, même si des Etats comme le Brésil ou l'Espagne ne le reconnaissent pas. Celui qui fait les manchettes du genre : "Tensions au Kosovo", "L'OTAN bombarde Pristina" et autres choses du type.

Bien. Mais je suis pas là pour vous parler de guerres ou de processus compliqués d'indépendance. Je me paie le luxe d'écrire sur les bars, et je vais vous expliquer pourquoi.

Après le dépaysement lié à l'arrivée, j'ai pas tardé à me sentir chez moi à Pristina, la capitale. Un peu en raison de la présence d'innombrables laveurs de pare-brise aux feux rouges. Une technologie que je croyais brésilienne et qui, à ma grande surprise, est commune dans les Balkans. Mais c'est surtout parce que j'y ai déjà mon bar attitré. D'ailleurs, j'ai déjà un bar de prédilection, un portable, et un agenda plein de numéros de gens sympas, éléments qui, mélangés à bonne dose, peuvent signifier le bonheur. A trop forte dose, ils peuvent signifier cirrhose. Ou du moins un mal de crâne carabiné.

Comme si ça suffisait pas, j'ai aussi une théorie. De comptoir. On dit que les gens s'attachent fermement aux endroits quand ils y élisent leur bar préféré. J'ai le Beirute à Brasilia, le bar du Mineiro à Rio, la Liberté à Paris et maintenant le Strip Depot à Pristina. Un choix de cette ampleur marque une étape importante dans la vie sociale de tout citoyen.

Mais un individu ne se résume pas au bar qu'il choisit. Il faut pas oublier l'autre angoisse qui consume les contribuables des quatre coins du monde, du Pérou à la Croatie, du Canada à l'Ouzbékistan : le choix de sa bière favorite. J'ai déjà la mienne. Bon, les miennes. Au Brésil, Antártica Original, faz favor. En France, une Leffe, s'il vous plaît. Et au Kosovo, Peja, të lutem. Quelqu'un sans bière préférée est un éclectique du houblon. Et les éclectiques, c'est mondialement connu, sont ceux qui ne choisissent pas, que ce soit par flemme, commodité ou absence de bon sens.

Je pensais à tout ça quand, à mon troisième jour à Pristina, je retournais pour la troisième fois au Strip Depot. Je me suis assis, j'ai sorti mon cahier de notes et gribouillais quelque chose quand le serveur s'est adressé à moi. Pas en albanais, comme il le faisait d'habitude avec ses clients, mais en anglais. Il m'avait reconnu."How are you today? Is everything fine?". A ce moment-là, je me suis demandé si je buvais trop ces derniers temps. Je me suis demandé si j'avais pris la bonne direction, plutôt que d'aller à l'hôtel finir un boulot. Je me suis aussi demandé si cette mousse, tôt ou tard (plus tôt que tard, probablement), ne finirait pas par se fixer au niveau de ma région abdominale, formant d'inévitables bouées. En un tour de passe-passe, j'ai balayé toutes ces questions en prononçant la bonne phrase, dirigée à la bonne personne :

- Yes, everything is ok. Can I have a Peja, të lutem?