vendredi 21 décembre 2007

68 + 1


J'étais déjà en France au moment du 2ème tour des élections présidentielles. Bien que Ségolène ne déchaîne pas les passions, la possibilité de voir Sarkozy accéder à la présidence a poussé les gens à descendre dans la rue. J'y suis allé aussi.

Un jour, j'ai reçu un tract annonçant une manifestation anti-Sarko, organisée par un groupe appelé "Act Up Paris". Je n'ai pas tout lu, mais le thème suffisait à me motiver. En fait, ce que je cherchais était sentir un peu l'ambiance de Mai 68.

Je suis arrivé au lieu prévu un peu avant l'heure. Il y avait quelques centaines de personnes et une grande banderole écrite "Des fleurs, des paillettes, Sarkozy à la retraite". Je n'ai pas du tout aimé le slogan. Qu'est-ce ces élections avaient à voir avec des fleurs et des paillettes?

Parallèlement, la place se remplissait. Les organisateurs se saluaient de petits bisous sur la bouche avant de pousser des cris hystériques au mégaphone, repris avec enthousiasme par les participants. J'ai trouvé cela un peu bizarre. "Mais ce sont les fils de 68, cela doit être normal", j'ai pensé.

La vérité, c'est que j'étais fasciné à l’idée de participer à un acte politique à Paris. J'imaginais que nous allions tous marcher jusqu'aux Champs-Élysées, à l’image de De Gaulle lors de la Libération après la défaite des Allemands à la fin de la 2ème Guerre Mondiale. Ma pensée était si loin...

Je me suis réveillé lorsqu'une fleur est apparue devant mon nez. J'ai mis du temps à comprendre qu'elle m’était destinée.

- C'est pour toi.
- Merci beaucoup. C'est gentil.
Et j'ai souri, sans voir qui me l'avait offerte.
- De rien, a répondu une voix masculine. Au bout de la rose, un mélange de Michou et Che Guevara me faisait des clins d'oeil.

Mon cerveau a rapidement assemblé les pièces du puzzle pour arriver à une conclusion flagrante: j'étais dans une manifestation gay! C'est alors que j'ai remarqué les drapeaux violets, les hommes main dans la main, l’air rempli de paillettes et la grande distribution de roses.

J’y suis resté et ai montré toute mon indignation contre Sarkozy en applaudissant vivement tous les slogans alors que je n'en comprenais pas la moitié. J'ai quand même été un peu déçu de voir que nous n'allions pas parcourir les rues de Paris. Au lieu de 68, j'étais plus à même de voir des 69.

Au moins je suis rentré « fleuri » à la maison.

vendredi 14 décembre 2007

Fumer comme un pompier

Après le chien, le deuxième meilleur ami du Parisien est la cigarette. Un épais rideau de fumée envahit généralement bars, maisons et autres airs de la capitale. Impossible de sortir le soir et rentrer chez soi sans la désagréable sensation d’être un roquefort ambulant, pleinement conscient de sa propre puanteur.

Le fait que le prix d’un paquet soit récemment passé à près de cinq euros, soit le prix d’un menu chez le chinois du coin, n’a pas l’air de freiner beaucoup les habitants de la ville lumière. La différence est que désormais nombreux sont ceux qui trimballent leurs kits philosophiquement punks, du genre “do it yourself”, composés d’un paquet de tabac et de feuilles à rouler, exhibant partout leurs cônes faits maison.

Parfois l’un d’eux s’inquiète.

- Ça te dérange si je fume ?

La question est uniquement rhétorique parce que même si tu dis « oui » les 236 autres fumeurs n’en n’ont rien à cirer de ta rhinite allergique. Et encore moins du fait que la fumée se dirige directement vers ton sandwich au saumon qui gagne automatiquement l’adjectif de « fumé ».

Sauf que ceci devrait changer dès le 1er janvier, date d’entrée en vigueur de la loi qui interdit de fumer dans les lieux publics.

Griller une blonde au resto ? Fini.

S’en allumer une en boîte ? Que néni.

Théoriquement ce ne sera plus possible. Théoriquement, puisqu’ils essaient déjà de trouver un moyen de contourner l’interdiction. Maintenant celui qui n’arrive pas à abandonner la clope devra s’inscrire, à grands frais, à une sorte de club privé. Il s’agit en fait d’une partie du bar ou du resto réservée aux amateurs de fumée. C’est peut-être une question naïve, mais payer pour entrer dans un fumoir ? Remarque, je connais bien des gens qui paient pour prendre des cours d’aérobique, ce qui, en termes de bizarrice ne me semble pas très différent.

Le fait est que toute cette histoire soulève une question qui me trotte dans la tête depuis quelques temps : les français fument-ils autant parce qu’ils ont la bouche en cul de poule ou ont-ils la bouche en cul de poule parce qu’ils fument autant ?

vendredi 7 décembre 2007

Chien chiant


- C'est "chiant".
- Chi...
- Chiant! La bouche entr'ouverte
- Chien?
- Non, non. Chien, c'est chien. Chiant, c'est chiant.
- C'est dur.
- Mais non. Regarde quand je parle.
- Je regarde.
- Chiant.
- Et l'autre?
- Chien.
- C'est du pareil au même.
- C'est différent, très différent.
- A peu près autant que deux coréens sur un terrain de foot...
- Hein?
- Rien, rien.
- Allez, on recommence.
- Chient.
- C'est mieux. Mais c'est pas parfait.
- C'est cet horrible "biquinho" que j'arrive pas à faire.
- "Biquinho"?
- Oui, le "biquinho", si tu préfères l'espèce de bouche en cul de poule que vous avez quand vous parlez.
- "Bouche-en-cul-de-poule"?
- Ben oui, tout le monde sait que pour bien parler leur langue, les Français mettent leur bouche en cul de poule.
- Je ne comprends pas.
- Redis ce que tu viens de dire.
- Quoi?
- Ce que tu tentais déspéremment de m'apprendre il y a 2 minutes.
- Chiant?
- VOILA! Parle doucement.
- Chi...
- Arrête toi sur la dernière syllabe.
- ...ant.
- Là! Tu vois le cul de poule?
- Non!
- Regarde toi dans la glace.
- ?
- Regarde.
- !
- Tu vois le cul de poule? La bouche un peu en avant, entreouverte comme tu dis.
- Mais c'est normal ! Vous faites pas ça vous peut-être?
- Non.
- T'es sûr?
- Oui. On n'en a pas besoin en portugais.
- Mais pour parler français vous devez faire ce ... comment c'est déjà?
- Biquinho?
- Biquinho!
- Tu vois, c'est bien pour ça que je te dis qu'apprendre le français est chiant!
- Tu vois? Tu vois? Là, tu l'as bien dit! c'était parfait!

vendredi 9 novembre 2007

Uh la la


Ding dong, fit la sonnette avec un fort accent français.

- Bizarre. Qui ça peut bien être? Un voisin qui veut du sucre?


J'ouvre. En face de moi un homme grand, blond, transpirant. Un mélange de Gérard Depardieu et du frère de Jim Carrey dans "The Truman Show", en encore un peu plus étrange.

- Bonjour,
dit-il.
- Bonjour Monsieur, dis-je en accentuant mon intonation, très sûr de mon effet.

Et à partir de là, il se mit à vomir des paroles à la vitesse grand V, un papier à la main. Je n'étais à Paris que depuis un mois et ne comprenais pratiquement pas un mot de ce qu'il racontait.

- Pardon?

Il répétait son histoire exactement à la même vitesse. Ce coup-ci je réussis à déchiffrer un mot par ci par là. Il m'a semblé qu'il s'agissait de quelque chose lié aux vacances.

- Je peux voir? demandais-je, désignant le papier qu'il tenait à la main.Ma question le mit hors de lui.

- Mais c'est la même chose que je viens de répéter DEUX fois!

Ça, j'ai bien compris.

De la fumée lui sortait du nez. C'était les prémisses d'un véritable bras de fer. Lui, transpirant de plus belle et moi tirant le papier dans l'espoir de comprendre, enfin, de quoi il s'agissait. Cette relation ne commençait pas sur de très bonnes bases et je ne réussis même pas à tout lire. Tout a empiré lorsque je butais sur un mot.

- Qu'est ce que c'est Pâques? Je n'avais jamais entendu parler d'une chose pareille. Très vite, j'échafaudais un scénario dans ma tête: il travaillait au zoo, allait partir en vacances et faisait une quête pour que ses pacas* ne manquent de rien pendant son absence.

Pas de réponse. La tension était palpable. Il était si rouge que je pensais qu'il allait exploser. Il fallait trouver une issue, et vite.

Je pris mon air dur, genre mauvais garçon et le regardais droit dans les yeux. Il fit pareil, sauf qu'il était tout transpirant et bien plus impressionnant que moi.

- Désolé, Monsieur, mais je n'ai absolument rien compris.
- Moi non plus,
dit-il en grognant.

La chaleur de son haleine me fit dresser les cheveux sur la tête.

Le type a tourné les talons et s'est éloigné dans le couloir en grondant. Avant même que j'aie le temps de fermer la porte j'entendis un "putain" retentir.

Je fermais la porte, et donnais deux tours de clef, juste pour me rassurer.


*rongeur des Amériques

vendredi 19 octobre 2007

Parcours du combattant


- Bon, on n'a qu'à se retrouver à la papeterie de la galerie du Louvre.
- J'y serai dans une demie heure.


C'était facile. Il suffisait de prendre le métro à côté de la maison, descendre à la bonne station et parcourir à pied les quelques mètres restants. En avance, j'ai décidé de m'arrêter plus tôt et de me promener un peu. C'était parfait pour arriver à l'heure exacte et profiter un peu du soleil sur le trajet. Un soleil qui n'est pas sorti souvent au cours de l'été parisien.

Impossible de se tromper. Et pourtant !

J'arrive au Louvre. Porte fermée. Tous les musées du monde ferment le lundi. Seul le Louvre ferme le mardi. C'est vrai que même La Joconde a droit à un jour de repos, mais le mardi? Devant l'impasse, le plus simple était de téléphoner et fixer un autre point de rendez-vous.

Vu que je n'ai pas de portable, je suis parti à la recherche d'une cabine. Je me dis que le Louvre étant en lieu touristique, je ne devrais pas avoir trop de mal à en trouver une. Et pourtant, pas la moindre cabine téléphonique dans tout le quartier.

J'ai marché, tel un pèlerin, tête nue au soleil, jusqu'à trouver un simple téléphone public. J'y entre, sors ma carte et tape mon numéro. Et lá, au lieu de l'habituelle sonnerie d'appel abouti, une voix nasillarde me dit:

- Votre carte n'est plus valable, merci d'en acheter une autre. Votre carte n'est plus valable, merci d'en acheter une autre. Votre carte...


La 2e étape logique était d'appeler en PCV. Encore fallait-il que le mode d'emploi soit affiché dans la cabine. J'essaie de demander à une dame.

- Madame s'il-vous-plaît, savez-vous comment appeler en PCV?


Elle a ouvert des yeux grands comme des soucoupes, m'a regardé de haut en bas et s'est accrochée à son sac avec force, s'éloignant d'un pas décidé. Ça fait partie de la culture brésilienne de transférer sa dette. Au pays de l'ardoise, tout le monde téléphone en PCV. Mais essayez pour voir de demander à un parisien s'il sait comment faire. La pauvre dame, face à type en nage, parlant un français douteux, a dû croire qu'il s'agissait d'un nouveau type d'agression venu des tropiques. Et elle a tourné les talons.

J'avais déjà 30 minutes de retard. Je me dirigeais vers une boutique de souvenirs pour touristes pour acheter une nouvelle carte téléphonique.

- On n'en fait pas. Mais nous avons un magnifique t-shirt "I Love Paris" en soldes si vous voulez.

J'entrais dans la suivante.

- Nous n’avons que des mini Tour-Eiffel, ça vous intéresse?

Puis dans la 3e.

- Une carte de téléphone? Mais non. Il n'y a que les tabacs qui en vendent,
répondit le vendeur en riant, comme s’il s’agissait de la chose la plus normale du monde.
- Et vous sauriez me dire où trouver un tabac?
- Pas la moindre idée.


Après de longues minutes de marche à tel un bédouin dans le désert, le soleil me rougissant le crâne, j'aperçois à l'horizon ce qui tenait du mirage: un bureau de tabac. A l'entrée trônait une pub Camel, un souriant chameau distribuant des clins d'œil à la cantonade. J’ai bien senti la provocation mais mon retard m'empêchait d'avoir une réaction plus énergique. J’achetais ce dont j'avais besoin et sorti. C'est alors que je me rends compte qu'il fallait que je retrouve la cabine citée quelques lignes plus haut. Or je n'avais aucune idée d'où elle pouvait bien se trouver.

J'avais envie de m'asseoir sur le trottoir et pleurer. Mais j'ai poursuivi ma mission, comptant sur une aide inespérée venue de l’au-delà. Celle-ci ne tarda pas trop à intervenir : j'ai tourné à l'angle de la rue et suis tombé nez à nez avec une cabine. J'y entre, appelle et conviens d’un autre point de rendez-vous. Cette fois-ci j'ai réussi à arriver, en nage, fatigué, avec presque 2 heures de retard et d'une humeur massacrante.

- Ah ben dis donc, tu en fais une tête. Tu as besoin de quelque chose?
- D'une bière et peut-être bien d'un portable.

mardi 21 août 2007

Moules musicales


Nous sommes récemment allés rendre visite à nos correspondants de Brazuca à Bruxelles. J'y ai rapidement découvert les 3 'incontournables': les bières, le chocolat et les moules-frites.

La bière et le chocolat belges font certainement partie des meilleurs du monde et on en trouve à tous les coins de rue. Le cas des moules-frites est déjà plus compliqué.

Même si faciles à trouver puisqu'au menu de tous les restaurants du centre, la question est de savoir où les déguster. Pour être sûr d'avoir un échantillon représentatif et principalement pour satisfaire mon côté 'Homer Simpson', j'ai commandé le plat à deux reprises. Une chaque jour.

Les moules-frites sont une sorte d'orgie culinaire. Il s'agit d'une énorme casserole de moules cuites et d'une portion non moins gargantuesque de frites.

Sans même un coup d’œil à la carte, nous commandons tous le même plat. La serveuse arrive rapidement, une gigantesque marmite sur son plateau, et la dépose sur notre table. "Oh la la, c'est énorme!". Elle en apporte deux de plus. Choqué, je comprends que la portion « maousse costaud » qu'elle venait de nous servir était en fait individuelle. J'aurais pourtant juré qu'elle était collective.

Je respire profondément et m'attelle à la tâche. J'attaque un à un chaque spécimen de ce cimetière marin. Des familles entières de moules avaient été décimées pour le plus grand bonheur d'un homo sapiens gourmand - moi.

Il faut avouer que c'était délicieux. Pourtant quelque chose me dérangeait.
Pas la bouffe, non. Le problème, musical, venait des baffles du restaurant d'où Julio Iglesias susurrait de sa voix d'éternel latin lover. Difficile à supporter. Si difficile qu'en y regardant rapidement j'aurais juré voir les moules se réfugier dans leur coquille. Ecouter Julio Iglesias était visiblement pire que l'enfer des fruits de mer auquel elles étaient promises par ma faute.


- Madame, est ce possible de changer la musique, s’il vous plait ?
- Pourquoi? Vous ne l'aimez pas?


L'air contrarié, la serveuse change de radio. Quelque temps après, nous gagnons la bataille en venant à bout de notre déjeuner.

Le lendemain, alors que je marchais seul dans le centre, la faim m'amena dans un sympathique petit resto -comprenez bon marché - et j'y réitérais la commande.

- Des moules - frites, s’il vous plait


A peine le plat atterrit sur ma table que, comme dans un film, quelqu'un allumait la musique. Entre une bouchée de moule et une bouchée de frite, je reconnus la voix qui allait accompagner mon déjeuner. C'était encore lui, le père spirituel de Ricky Martin, le fond sonore des centres commerciaux. Lui, Julio Iglesias, plus mielleux que jamais.

J'avalais presque une coquille sans faire exprès. Mais pourquoi, Diable, ça m'arrivait de nouveau? J'appelais le serveur.

- Monsieur, serait-ce possible de changer la musique?
- Je suis vraiment désolé, mais non, ce n'est pas possible.
- Ah bon! Mais pourquoi?
- Parce que tout le monde, ici, adore Julio Iglesias.
- A-do-re Julio Iglesias, comment est-ce possible?
- Vous ne comprenez pas,
dit-il une main devant la bouche et l'autre entre les jambes dans une position éloquente empruntée à l’idole.

Sur ce, l'autre garçon reprit le geste. Me voilà, une moule dans la bouche en face d'un duo de chanteurs espagnols se tenant les roupettes dans un bizarre numéro de karaoké. L'un d'eux utilisait un couteau en guise de micro.

J'étais si mal à l'aise que j'aurais volontiers enfoui ma tête dans la marmite de moules si elle n'avait pas été si chaude. J'ai fini de manger, demandé l'addition et suis sorti.

Dans mon carnet de voyage, j'écrivais:
Bruxelles - Leffe, chocolat Leonidas et moules-frites.
Demander ces dernières sans Julio Iglesias.

vendredi 10 août 2007

3e Guerre Mondiale


- Quels sont les points qui délimitent l'avenue des Champs-Élysées? demande Monsieur Gérard.

- L’Arc de Triomphe et la Place de la Concorde, s’est empressé de répondre un Algérien fraîchement entré dans le groupe et qui s’est rapidement révélé un «Monsieur je sais tout» de premier ordre.

- Très bien! Et quelqu’un sait combien de rues arrivent au rond-point de l’Arc de Triomphe?

- Six, sans aucun doute!
affirma-t-il.

Tout le monde connaît un «Monsieur je sais tout». C'est celui qui s’estime plus intelligent que les autres et parle sans s’arrêter. Principalement lorsque personne ne lui demande son avis.

Celui-là est ingénieur, la soixantaine, habitant à Paris depuis des lustres et parlant un Français plus châtié que celui de Napoléon. Je n’ai aucune idée de ce qu’il fait dans notre classe.

Flatté de l’attention que lui accordaient les autres élèves, il s'est levé et a commencé à énumérer les rues, faisant les comptes sur ses doigts.

- Il y a l'avenue de Champs-Élysées, Wagram, Mac Mahon...
Ses yeux brillaient de bonheur, alors qu’il illustrait chaque voie de nombreux commentaires.

- Vous savez, j'ai travaillé à La Grande Armée, à la construction du métro.
- Ah l’avenue d’Iéna et sa merveilleuse pâtisserie, juste à côté de ce bar si sympathique.
- Et l’avenue Marceau, qui descend vers la Seine..


Son torse se gonflait au fur et à mesure qu’il fournissait des informations supplémentaires. Sa voix sortait de plus en plus ferme et assurée.

- 12, il y a 12 rues, surenchérit quelqu’un.
- Hein?
- Il y a 12 rues, c’est sûr.


Comme lors d’un match de tennis, tout le monde a tourné la tête en même temps pour voir qui le défiait. C’était une Russe, dont j’ignorais jusqu’alors qu’elle était douée de la parole. Non seulement elle parlait mais en plus elle esquissait un large sourire, révélant ainsi une demi-douzaine de dents en or. On aurait dit le méchant des films de James Bond. Malgré ça, tout le monde se mit à la supporter.

Le cours devenait tellement intéressant que deux assoupis se réveillèrent pour accompagner le débat.

- Madame, vous vous trompez complètement.
- 12 rues !
- Il y a les Champs-Élysées, Wagram, Mac Mahon, La Grande Armée, Iéna et Marceau.
- Il y a 12 rues.
- J’y ai travaillé des années. Il y a les Champs-Élysées, Wagram...


Le type commença à se perdre dans ses propres doigts tandis que la Russe, d’un ton monocorde, répétait la même sentence. Quand soudain elle sortit un plan de son sac.

- Nous allons compter, décida Monsieur Gérard, naturellement hissé au rôle d’arbitre.
- Un, deux...

L’Algérien suait à grosses gouttes. Son hégémonie était en jeu. En cas de victoire, son ego serait tellement gonflé qu’il rentrerait chez lui en volant. En cas d’erreur, il perdrait la divine place de professeur qu’il s’était octroyée.

- Trois, quatre...

La Russe riait, découvrant sa mâchoire millionnaire.

- Cinq, six...

La voix de Monsieur Gérard résonnait dans le profond silence dans lequel était plongé la classe. On entendait les mouches voler.

- ...onze, douze. Il y en a bien douze. Madame Pavlova a raison.

L’Algérien s’effondra. S’assit. Se leva. Demanda à voir le plan. Compta. Recompta. Se prit le visage dans les mains. Et se rendit compte qu’il avait réellement perdu la bataille. Plus vindicatif que jamais, il vit qu’il pouvait encore marquer une victoire. C’est alors qu’il lança une rapide contre attaque:

- Madame Pavlova, je suis sûr que j’ai raison. Accepteriez vous de m’y accompagner après le cours pour qu’on compte ensemble?
- Oui, pourquoi pas.


Timide, la Russe montra toutes ses dents dans le sourire le plus doré que j’aie vu de mon existence.

Mais elle prit soin de rappeler que la discussion de la salle de classe était belle et bien close.

- Mais qu’il y en a douze, il y en a douze.