vendredi 22 février 2008

Roulez jeunesse!


Demba est l'heureux propriétaire d'un taxi collectif. Par taxi, il faut comprendre véhicule tombant en morceaux, un fil devant être tiré pour fermer la porte, une fenêtre qui ne s'ouvre pas et qui, une fois ouverte ne ferme pas, sans compter le difficile processus auquel il faut se plier pour que la ceinture de sécurité passager soit effectivement bouclée. Le compteur ne fonctionne pas, pas plus que la jauge d'essence. Mais Demba a une relation si fusionnelle avec sa voiture, qui est aussi son outil de travail, qu'il sait exactement à combien il roule et quand il devient urgent de faire le plein. Je dois avouer que j'étais terrifié la première fois que j'y suis monté.

Demba est venu nous chercher à l'aéroport de Dakar pour nous emmener à 80 km de là, à Tubab Dialow. La nuit, sans embouteillages, il nous a fallu environ 2 heures.

Quelques jours plus tard il nous accompagnait à Joal, 100 km au sud de Tubab. Cette fois encore, 2 heures de trajet. "Mais comment est-ce que ça peut être si long?" me demandais-je.

De Joal nous devions aller sur une île assez proche. Demba ne pouvait pas nous attendre mais nous a donné toutes les indications pour nous y rendre.

- Pour rejoindre le quai d'où part le bateau, prenez un "7 places" mais attention, ne payez pas plus de 100 francs. Au retour, le bus vous laissera à Diam Niadio d'où je fais la navette avec mon taxi. De là, je vous ramènerai à la maison.


Le "7 places"

Ce n'est qu'au garage, sorte de gare routière locale, que je compris ce qu'était un "7 places". C'est une simple voiture, où s'entassent 7 personnes, 2 devant à coté du chauffeur, 4 derrière, et Allah reconnaîtra les siens.

- C'est combien?
- Deux mille.

- Trop cher.

- Mille cinq cents.

- Mille.

- Mille chacun et deux cents pour le sac.

- Mille.

- Monte.


Après l'éternel marchandage, je montais dans le taxi, mon sac à dos 60 litres déposé dans le coffre. Le porte bagages était plein de colis divers et variés ainsi que d'une cinquantaine de balais en paille qui tombèrent au premier virage.

- Balais! Balais! Balais!

Le chauffeur s'est arrêté pour nous laisser descendre et ramasser les objets éparpillés sur la route en terre. Quand je me suis aperçu de la taille de chacun de nous hors du véhicule, j'ai eu de sérieux doutes sur les possibilités d'y tenir à nouveau. Nous y sommes pourtant bien entrés, sans que je sache comment, et sommes rapidement arrivés à l'embarcadère.


N'Diaga-N'Diaye et la relativisation de la réalité

En théorie, le retour aurait dû être simple: un "7 places" jusqu'à un proche village, suivi de deux bus. L'aller ayant pris deux heures, le retour ne devait, selon mes calculs, pas durer plus de trois.

Les "7 places" fut facile, nous étions déjà experts. Il nous a déposé au terminus des N'Diaga-N'Diaye, les bus sénégalais. Le notre était là, attendant d'être plein pour partir.

- C'est combien?
- 1000.
- On m'a dit que c'était 300.

- En fait c'est 500.
- Tiens, voila 300.
- Monte.


Je suis monté, sans savoir que passer cette porte signifiait embarquer pour un voyage sans retour : personne n'est jamais plus le même après un trajet en N'Diaga-N'Diaye.

Comme le bus était à demi vide, je choisis la place derrière le chauffeur. Il est entré à son tour, s'est assis et essaya de mettre le contact. Rien, pas un bruit. Pas préoccupé pour un sou, il descendit pour entrer en grande conversation avec un type qui passait par là. Après avoir acheté un sachet de cacahuètes, il revient, les bras chargés de deux grands récipients sans couvercle contenant un liquide non identifié qu'il posa à ses pieds. Il a essayé une nouvelle fois de démarrer et, contre toute attente, démarra.

Une chose qui n'a pas encore été inventée au Sénégal est l'arrêt de bus. Les montées et descentes sont régies par un code élaboré. Pour monter, tenez vous sur le bord de la route et faites signe au chauffeur. Où que vous soyez, il s'arrêtera. Pour descendre, donnez deux coups secs sur le toit. Il n'y a pas de sonnette et si vous criez il n'entendra pas. Une seule solution: deux coups secs sur le toit.


Vous pouvez vous serrer un peu?

A ce moment du trajet, j'en suis même arrivé à penser que c'était pas si terrible qu'on le racontait. Mais ce sentiment m'a très vite quitté.

Quelqu'un faisait un signe sur le bord de la route? il s'arrêtait. 100 mètres plus loin, une autre personne, un autre signe? Nouvel arrêt. Un tout petit peu plus loin un autre passager remuait déjà la main pour monter. J'ai rapidement trouvé qu'on était suffisamment serrés comme ça. Il a fallu que je prenne mon sac à dos sur les genoux. Je cherchais des yeux la plaque indiquant la capacité maximale. Je ne trouvais qu'un vieux carton accroché au pare-brise indiquant notre destination et les photos jaunies d'un homme fort au torse nu s'entraînant pour un concours de lutte ou quelque chose du genre.

Alors qu'on était serrés comme des sardines, le chauffeur vit quelqu'un qu'il connaissait. Il s'est arrêté au milieu de la route et commença à discuter avec lui. Ça a dû durer environ 3 minutes, le temps qu'une dizaine de femmes passent par les fenêtres leurs mains chargées de sachets de noix de cajou, poivrons et autres oeufs durs. Mon voisin se risqua à acheter les légumes. Les poivrons figurent pour moi juste au dessous du panettone dans la liste des aliments en "p" que je déteste. "Pickles" est le premier de la liste.

Conversation terminée, nous poursuivons notre route. Quelques minutes plus tard, une forte odeur d'essence flottait dans l'air. Le chauffeur s'arrête brusquement et je découvre qu'un des récipients qu'il transportait venait de se renverser. C'est ainsi que je compris la nature du liquide sur lequel un passager vida une bouteille d'eau dans l'idée de le diluer. Pour éviter ce genre de désagrément, le chauffeur décida de verser le contenu du deuxième récipient directement dans le réservoir, sans même prendre la peine d'éteindre le moteur. Je voyais la catastrophe arriver mais l'impassibilité de mon voisin, tout absorbé qu'il était par ses prières, me rassura. Si Allah devait sauver quelqu'un ce serait lui. Comme j'étais juste à coté, je bénéficierais sûrement de sa clémence.

Fin du premier voyage, tout le monde descend. On était encore loin du point de rencontre avec Demba et il nous fallait prendre un autre N'Diaga-N'Diaye. D'un coté j'aurai voulu sauter dans le premier qui passait. De l'autre, j'avais besoin de quelques minutes pour récupérer. Le hasard fit bien les choses et le premier qui passa arriva une heure et demie après, les précédents étant si pleins qu'ils ne s'arrêtaient même pas. J'étais si épuisé que je n'ai même pas vraiment marchandé.

- C'est combien?
- 1000.

- 800?

- 1000.

- Ok.


Cent kilomètres plus loin et 7 heures après être partis, nous sommes arrivés à la station essence de Diam Niadio où nous attendait Demba. Je me débarrassais à peine d'une centaine de taxis m'offrant leurs services quand j'aperçus mon ami de loin. C'était pas vraiment mon ami mais à ce moment il fut presque élevé au rôle de frère. Je l'ai embrassé plus fort qu'il ne s'y attendait.

- Demba!
- Daniel!
- Tu peux pas savoir comme je suis content de te voir.

Cette fois-ci sa voiture était encore plus chère à mes yeux qu'une Rolls Royce.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Félicitations aux touristes les plus courageux qui voulaient absolument essayer les transports collectifs... ben voilà! ça se mérite la bonne intégration... c'est pas toujours facile... Par contre le "7 places" c'est 2 devant, 3 derrière et encore 3 derrière presque dans le coffre... ce qui fait huit places j'en conviens mais on ne compte jamais le chauffeur dans ces cas là, on ne s'occupe que de la rentabilité... sachant qu'il est toujours possible de faire un effort et d'avoir 3 personnes devant, 4 derrière et encore 3 au fond!
gwosse biz'
Ndeye Fatou