vendredi 16 avril 2010
Pour mettre la balle au fond
Un jour, le téléphone sonne.
- Daniel, tu fais quoi mercredi prochain vers 15 heures ?
Comme tous ceux qui ont plein de temps libre, j’ai toujours l’impression d’en manquer.
- Mercredi ? J'vais chez le dentiste.
- Mais tu m’avais dit que c’était vendredi.
- Ben oui, mais la préparation psychologique commence le mercredi.
- Bon, ben tant pis. Je vais trouver quelqu’un d’autre pour la partie avec Chico Buarque.
Ca a fait "tilt" dans ma tête, puis "boing" et enfin "wizz". J’ai cru que je pétais les plombs.
- Quoiquoiquoiquoiquoi? Un foot avec Chico Buarque?
- Ouais, le match dont je t’avais parlé, y a une place de libre. Mais c’est pas grave, je vais appeler...
- Tatatatata, tu vas appeler personne, pas la peine. Mercredi, j’y serai.
C'est seulement à ce moment-là je me suis souvenu que ca faisait bien 8 ans que j'avais pas touché un ballon. Depuis que Felipão avait commis deux injustices et n’avait sélectionné ni Romário ni moi pour la Coupe du Monde 2002. J’avais alors décidé de raccrocher mes crampons et de m’essayer à des sports moins frustrants, comme la course de pigeon et le lancer de thon.
Bien. Le mercredi, à l’heure et à l’endroit indiqués, il y avait déjà quelques joueurs mais pas de trace de Chico. Je me suis dit qu’il devait arriver en hélico, comme le père Noël au Maracana. Ou alors escorté de motards arrêtant la circulation pour le laisser passer, ou en bateau sur...
Au beau milieu de mes divagations, quelqu’un me tape sur l’épaule et me présente un type en short et crampons, prêt à jouer.
- Daniel Cariello, Chico Buarque. Chico Buarque, Daniel Cariello.
J’avais pensé à plein de choses à dire à ce moment-là, imaginant toutes les éventualités. J’avais préparé des blagues, des phrases intelligentes, une position blasée, des citations de Platon et tout le tremblement. L’une d’elles, la bonne, sortirait toute seule au moment des présentations. J’avais tout prévu, sauf ça, et j’ai fini par dire la chose la plus idiote qui soit.
- Chico Buarque ? Je crois que j’ai déjà entendu parler de toi...
Quel imbécile, je me suis dit. Mais quel crétin !
Alors que je me remettais de mes émotions, les équipes se sont formées, six joueurs de chaque côté, et on s’est retrouvés dans des camps opposés. Quelqu’un a tout de suite passé le ballon à Chico, qui est arrivé dans ma direction.
- Vas-y Daniel.
- Moi ? Et je fais quoi ?
- Marque-le.
- Quoi ? Mais j’ai le droit ?
Je l’avais. J’y suis allé et j’ai pris la balle.
- Pardon, j’ai pas fait exprès.
Je sais pas si c’était pour me punir des bêtises que j’avais racontées, mais il attaquait toujours de mon côté. Je devais lui coller à la culotte, c’était mon rôle. Et si je faisais une approche plus agressive ? Je voyais déjà les titres des journaux - de tous les journaux – le lendemain : “ Le champion du monde de la bêtise blesse Chico Buarque en jouant au foot. Le musicien ne pourra plus jamais jouer de la guitare.”
Mentant ostensiblement puisque je joue toujours aussi mal, quelle que soit ma position, je propose alors à un des membres de mon équipe :
- Et si on tournait, tu te mets à droite et moi à gauche. Je joue mieux de l’autre côté.
Je pensais que la partie ne durerait pas plus de 30 à 40 minutes et j’ai couru comme un dératé. Certains ont même loué ma capacité à me démarquer, sans se douter le moins du monde que c’était le ballon que je fuyais. Et pourtant, il finissait immanquablement entre mes jambes. Il finissait littéralement, car toute possibilité d’action prenait fin à cet endroit.
Une heure vingt était passée et toujours pas de fin à l'horizon. Alors que Chico Buarque courait comme une gazelle, je n’avais même plus la force de tenir debout. Malgré ma présence, nous menions largement : 5 à 4.
- On arrête quand ? j’ai demandé.
- Quand c’est nous qui gagnerons, a répondu quelqu’un de l’autre équipe.
Ca m’a semblé honnête et j’ai réuni mes dernières forces pour “donner le meilleur de moi-même pour aider l’équipe”. Leur équipe, en l’occurrence. Et Chico a égalisé sans tarder.
- On arrête, non ? a t-il suggéré. Personne n’a dit le contraire.
Ouf! L’invincibilité de Paristheama, le pendant français de Politheama, était assurée. Si ma place dans l’équipe l’est aussi, je ferai mon possible pour qu’il en soit toujours ainsi, quel que soit mon camp.
vendredi 2 avril 2010
Le sourire de monsieur Charles
Un jour, Charles Lutwidge Dodgson arrive à la maison et annonce à sa mère :
- Maman, faut que je te parle.
- Qu’est-ce-que t’as fabriqué cette fois, Charles?
- J’ai décidé de faire un truc différent, j’en ai mare de la monotonie.
- Mon fils, tu te souviens de la dernière fois que t’as essayé une chose pareille?
- Oui, maman. Mais ce qui est arrivé n’était pas de ma faute. J’étais persuadé qu’on pouvait voir ce qu'il y avait de l’autre côté du miroir.
- Je comprends. Mais tu n’aurais pas dû forcer ton cousin Jérémy à le traverser. Le pauvre bougre s’est esquinté la figure.
- La science, maman, a besoin de volontaires. Au moins on a découvert que ça n'était pas possible pour l’instant…
- Dis-moi, alors, ce que tu voulais me raconter.
- J’ai laissé tomber la poésie.
- Ah, finalement un peu de bon sens. La poésie, ça mène nulle part. Regarde tes amis Edgar Allan Poe et Walt Whitman. Qui les connaît ? Qu’est-ce-qu’ils ont fait d’important dans leur vie ?
- Maman…
- Maintenant tu pourras te dédier exclusivement aux mathématiques. Je suis fière de toi.
- Maman, c’est exactement de ça que je veux te parler.
- Tu vas lancer un nouveau livre sur les théories d’Euclide?
- Non, j’ai aussi laissé tomber les maths.
- Quoi ? T’es devenu dingue ? C’est à dire, encore plus qu’avant ?
- Je viens d’écrire un livre sur une petite fille appelée Alice.
- Ouf. C’est pas si dramatique. Dis m’en plus.
- Il y a cette enfant qui marche dans les bois puis un lapin blanc apparaît.
- Que c’est joli. Une fable, comme celles de La Fontaine?
- Pas tout à fait. Le lapin a une montre à gousset.
- Une montre ?
- Mais il est toujours en retard.
- C’est un lapin ou un brésilien ?
- Alice le suit jusqu’à l'entrée d'un gros trou. Elle y tombe. Au fond, il y a une porte, trop petite pour elle. Alice décide de boire dans un verre sur lequel il est inscrit “bois-moi”. Elle devient minuscule, ayant la taille parfaite pour passer par la porte, mais elle est toujours malheureuse parce qu’elle n'a pas pensé à prendre la clé de la porte sur la table. Du coup, elle mange du gâteau qui est à côté d'elle, par terre, sur lequel elle peut lire “mange-moi” et là, elle se transforme en géante.
- Charles, t’as pris quoi ce matin ? T’as dû manger des œufs périmés. On va aller voir le médecin tout de suite. Tu vas pas bien, ça se voit.
- Attends, maman, c'est pas fini. Alice rentre dans un nouveau monde. Je l’ai appelé le pays des merveilles.
- Le pays des merveilles ?
- Oui.
- Un endroit où tout est merveilleux ?
- Exactement.
- Il n’y a plus de portes minuscules ?
- Non.
- Ni de gâteaux qui font grandir ?
- Tu parles de Haribo ?
- Quoi ?
- Laisse tomber. Pour comprendre ma blague il aurait fallu que tu sois née en France, au XXè siècle.
- Et dans ce pays des merveilles, il y a quoi ?
- Des choses simples. Un chapelier qui boit du thé tout le temps et fête les non-anniversaires, les frères Tweedeldee et Tweedeldum, qui contredisent Alice sans arrêt , le chat du Cheshire et son sourire énigmatique, la Reine de Cœur et son désir de couper la tête à tout le monde.
- Mais que t'est-il arrivé, mon Charles ?
- J’ai oublié de te dire, maman. Désormais, on m’appelle Lewis Carroll.
- Lewis Carroll?
- Calme-toi, maman. Je vais aller te chercher du thé.
- …
- Maman, maman! Reviens, j’ai pas terminé… Elle est devenue folle, on dirait.
Le texte ci-dessus a été originellement publié dans la revue culturelle des étudiants du master 2 Journalisme culturel à la Sorbonne Nouvelle. Je l'ai, ici, un tout petit peu modifié.
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