vendredi 10 août 2007

3e Guerre Mondiale


- Quels sont les points qui délimitent l'avenue des Champs-Élysées? demande Monsieur Gérard.

- L’Arc de Triomphe et la Place de la Concorde, s’est empressé de répondre un Algérien fraîchement entré dans le groupe et qui s’est rapidement révélé un «Monsieur je sais tout» de premier ordre.

- Très bien! Et quelqu’un sait combien de rues arrivent au rond-point de l’Arc de Triomphe?

- Six, sans aucun doute!
affirma-t-il.

Tout le monde connaît un «Monsieur je sais tout». C'est celui qui s’estime plus intelligent que les autres et parle sans s’arrêter. Principalement lorsque personne ne lui demande son avis.

Celui-là est ingénieur, la soixantaine, habitant à Paris depuis des lustres et parlant un Français plus châtié que celui de Napoléon. Je n’ai aucune idée de ce qu’il fait dans notre classe.

Flatté de l’attention que lui accordaient les autres élèves, il s'est levé et a commencé à énumérer les rues, faisant les comptes sur ses doigts.

- Il y a l'avenue de Champs-Élysées, Wagram, Mac Mahon...
Ses yeux brillaient de bonheur, alors qu’il illustrait chaque voie de nombreux commentaires.

- Vous savez, j'ai travaillé à La Grande Armée, à la construction du métro.
- Ah l’avenue d’Iéna et sa merveilleuse pâtisserie, juste à côté de ce bar si sympathique.
- Et l’avenue Marceau, qui descend vers la Seine..


Son torse se gonflait au fur et à mesure qu’il fournissait des informations supplémentaires. Sa voix sortait de plus en plus ferme et assurée.

- 12, il y a 12 rues, surenchérit quelqu’un.
- Hein?
- Il y a 12 rues, c’est sûr.


Comme lors d’un match de tennis, tout le monde a tourné la tête en même temps pour voir qui le défiait. C’était une Russe, dont j’ignorais jusqu’alors qu’elle était douée de la parole. Non seulement elle parlait mais en plus elle esquissait un large sourire, révélant ainsi une demi-douzaine de dents en or. On aurait dit le méchant des films de James Bond. Malgré ça, tout le monde se mit à la supporter.

Le cours devenait tellement intéressant que deux assoupis se réveillèrent pour accompagner le débat.

- Madame, vous vous trompez complètement.
- 12 rues !
- Il y a les Champs-Élysées, Wagram, Mac Mahon, La Grande Armée, Iéna et Marceau.
- Il y a 12 rues.
- J’y ai travaillé des années. Il y a les Champs-Élysées, Wagram...


Le type commença à se perdre dans ses propres doigts tandis que la Russe, d’un ton monocorde, répétait la même sentence. Quand soudain elle sortit un plan de son sac.

- Nous allons compter, décida Monsieur Gérard, naturellement hissé au rôle d’arbitre.
- Un, deux...

L’Algérien suait à grosses gouttes. Son hégémonie était en jeu. En cas de victoire, son ego serait tellement gonflé qu’il rentrerait chez lui en volant. En cas d’erreur, il perdrait la divine place de professeur qu’il s’était octroyée.

- Trois, quatre...

La Russe riait, découvrant sa mâchoire millionnaire.

- Cinq, six...

La voix de Monsieur Gérard résonnait dans le profond silence dans lequel était plongé la classe. On entendait les mouches voler.

- ...onze, douze. Il y en a bien douze. Madame Pavlova a raison.

L’Algérien s’effondra. S’assit. Se leva. Demanda à voir le plan. Compta. Recompta. Se prit le visage dans les mains. Et se rendit compte qu’il avait réellement perdu la bataille. Plus vindicatif que jamais, il vit qu’il pouvait encore marquer une victoire. C’est alors qu’il lança une rapide contre attaque:

- Madame Pavlova, je suis sûr que j’ai raison. Accepteriez vous de m’y accompagner après le cours pour qu’on compte ensemble?
- Oui, pourquoi pas.


Timide, la Russe montra toutes ses dents dans le sourire le plus doré que j’aie vu de mon existence.

Mais elle prit soin de rappeler que la discussion de la salle de classe était belle et bien close.

- Mais qu’il y en a douze, il y en a douze.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très bien!
J'ai bien aimée.

Moi.