vendredi 18 décembre 2009

A danada da cachaça


Un jour, Pierre se réveille et ne reconnaît pas le monde qui l’entoure. Il regarde la femme couchée à ses côtés mais ne voit rien en elle de familier. Il trouve même très bizarres les mèches rousses au milieu de sa chevelure châtain. Il s'attarde sur l’horrible tableau du cheval accroché près de la porte de la salle de bains, sur les rideaux rouges vieillots et surtout sur le poster de Julio Iglesias sous son meilleur profil, tout sourire et qui lui donne la nausée. La tête comme une citrouille, il n’arrive à s’accrocher qu’à une seule idée : atteindre le portefeuille sur la table de chevet et la porte de la maison dans la foulée. Près à quitter la chambre, il entend pourtant une voix venant du fond du lit.

- Pierre?
- Hein?
- Pierre!
- Tu me parles ?
- Oui, Pierre Caugin, je te parle. A qui d’autre pourrais-je parler ? Tu crois qu’après avoir laissé les enfants à l’école tu pourrais passer à la pharmacie acheter du Doliprane ? Ma tête va exploser.

Il se fige, terrifié. Il s’appelle bien Pierre Caugin, mais ne se souvient pas avoir une quelconque intimité avec cette femme, et encore moins d’avoir des enfants avec elle, qui plus est en âge d’aller à l’école. En fait, il ne se souvient de rien jusqu’à cet instant. Il sait bien qu’il a eu une vie avant mais il est incapable de dire les choses les plus simples le concernant comme le nom de sa mère, son adresse ou son club de foot préféré.

Balbutiant un oui sans conviction, Pierre arrive dans le couloir et voit deux enfants courir vers lui et lui sauter au cou.
- Papa, papa, tu me fais tourner comme sur le manège?
- Papa a mal à la tête et peut pas jouer maintenant. D’ailleurs, papa peut même pas vous accompagner à l'école, aujourd’hui vous y allez en taxi, d’accord ?

Après avoir confié les petits au chauffeur, Pierre Caugin rentre dans cette maison qui lui est si étrangère et observe attentivement les objets dans le salon. Un cadre avec un énorme portrait de la famille à Eurodisney, chacun affublé du chapeau de Dingo. La discographie complète non seulement de Julio Iglesias mais aussi d’Enrique Iglesias. Et le pire, le dernier livre de José Sarney [1], traduit en français et autographié.

Pierre court dans la salle de bains et ferme la porte derrière lui. Il ouvre le robinet et se passe la tête sous l’eau froide. Il se relève doucement et observe dans le miroir son image vieillie. Ca ne pouvait pas être lui : non, il ne pouvait pas être si vieux. Ces rides n'étaient pas les siennes. La calvitie non plus, et encore moins ces cheveux grisonnants.

Subitement, la nuit précédente lui revient en mémoire. Il se souvient de cette boite étrange à Pigalle, près du Moulin Rouge, de cette exotique danseuse mexicaine et de son jeu de jambes inégalable. Et surtout du barman, qui lui a garanti que la boisson qu'il vendait était de provenance irréprochable "No hay problema", disait-il, en portugnol, mélange incertain d'espagnol et de portugais "Puede beber sin miedo. Mañana você será un homem nuevo en fuelha"[2].

Pierre se passe une nouvelle fois le visage sous l'eau et prend la direction de la fameuse discothèque. Bien que certaines choses n'étaient plus pareilles que la veille, la boite était toujours au même endroit. Il entre en trombes et va droit au bar, donne trois droites au barman, lui aussi bizarrement plus vieux, et descend une pleine bouteille de ce qu'il avait pris la veille, un alcool brésilien avec une sorte de crevette sur l'étiquette. "C'est de la cachaça", lui avait-on dit. Tout à coup, deux vigiles rentrent et commencent à lui virer des taquets avec plaisir, beaucoup de plaisir. Puis plus rien.

Le lendemain, il se réveille dans le même cagibi de toujours, son vieil appartement miteux de 12 m2 en banlieue parisienne. Pierre se souvient des enfants qu'il a eus l'espace de quelques instants, et se sent triste de ne plus les voir. Mais l'instant suivant il se rappelle des disques de Julio Iglesias et du livre de José Sarney, et remercie le ciel d'être revenu à sa petite vie d'avant. Surtout que le chapeau de Dingo lui allait vraiment pas très bien.


[1] José Sarney, piètre écrivain, est président du Sénat. Il a aussi été président du Brésil de 1985 à 1990.
[2] "Buvez sans crainte. Demain, vous serez frais comme un gardon"

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vendredi 4 décembre 2009

Trois fois sept


Sept histoires à raconter quand quelqu’un demande « c’est la tour Eiffel ? ».
1. Non, c’est un puits de pétrole.
2. Pas du tout. C’est l’Arc de Triomphe. Je sais pas pourquoi tout le monde les confond toujours.
3. Hein ? Ce truc n’était pas là hier. Cours, vite, avant qu’il grandisse encore et nous attrape.
4. Il faut que je te dise quelque chose. La tour Eiffel n’existe pas, Paris n’existe pas, pas plus que la France. D’après la théorie spirite, le monde matériel est le plan modérateur du caractère individuel. Comme on dirait aujourd’hui, ça veut dire que chaque seconde des idoles, des tours, des totems et des McDonald’s sont créés et détruits. Quant à moi, je préfère les McChicken avec plus de mayonnaise, même si je sais que je risque l’infarctus à chaque bouchée. A la réflexion, McChicken, mayonnaise, infarctus et buts de Zidane n’existent que dans ta tête. J’ai été clair ?
5. La tour Eiffel ? C’est pas le Colisée ? On n’est pas à Rome ? Je vais tuer cet agent de voyage de malheur.
6. Tu peux l’appeler tour Eiffel. Moi je l’appelle Marta, comme ça, juste parce que c’est plus joli.
7. C’est pas vrai ? Comment ça se fait que je l’aie pas vue avant ?

Sept excuses pour ne pas retourner une fois de plus au Louvre voir les mêmes tableaux que d’habitude, cette fois-ci avec le beau-frère de ton cousin en vacances à Paris.
1. Ma religion m’interdit de visiter des musées qui exposent des vieilleries.
2. J’aime pas les Japonais.
3. Zut, j’ai une grippe A carabinée aujourd’hui.
4. Mona Lisa ? C’est un thon. Investis le prix du billet dans le dernier Playboy.
5. Qui s’intéresse au Louvre quand il a la chance de connaître Cyclo? Tu connais pas Cyclo? Ben non, bien sûr. Il s’appelle Argemiro das Dores Fortes. Ca te dit quelque chose ? Non ? C’est un ami à moi qui sait tellement de trucs qu’avec les copains du Biruta, on s’est mis à l’appeler Encyclopédie. Il est ensuite devenu Encyclope et maintenant Cyclo. En fait, je crois bien que je t’ai jamais parlé de mes potes du Biruta, des mecs qui fréquentaient le Bar Biruta, pas loin de chez moi. Ecoute, je crois que je vais t’accompagner au musée, comme ça je pourrai te raconter les détails de l’histoire de Cyclo, de mes potes du Biruta et de Margueritte, dont je t’ai pas encore parlé. Y en a pour une semaine à tout raconter ! Tu laisses tomber ? Mais pourquoi ?
6. J’allais justement te proposer d’y aller aujourd’hui, mais je viens de recevoir un appel du boulot et va falloir que j’aille en vitesse au Perpettekistan. Dommage…
7. T’es pas au courant ? Ils viennent juste de transférer le Louvre à Catolé do Rocha, dans l’état de Paraíba.

Sept bizarreries françaises.
1. Les escargots
2. La viande hachée de cheval
3. Le foie gras
4. Les sauterelles grillées
5. Le boudin
6. Les cuisses de grenouilles
7. Brigitte Bardot à 70 ans.

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samedi 25 juillet 2009

Toca Raul!

Il y a des choses impossibles à traduire. Aussi bien que vous arriviez à parler une deuxième langue, certaines expressions prendraient tant de temps à être expliquées qu’il vaut mieux même pas essayer.

On ne m’y reprendra plus, depuis la fois où j’assistais à un festival à Paris et que quelqu’un a poussé un cri au milieu du brouhaha ambiant. Une sorte de code-pour-reconnaître-un-Brésilien-dans-un-concert-de-rock-n-importe-où-dans-le-monde. Un « toca Raul » aboyé, presque faux. Mais c’était un véritable « toca Raoul », clairement identifiable.

Comment expliquer à un Français la portée socio-anarco-mistico-ironico-contreculturelle de l’expression ?

- C’est impossible à expliquer.
- Essaie.
- Raul Seixas est un musicien bahianais, un pionnier du rock brésilien.
- Et les gens veulent écouter ses chansons pendant le concert ?
- C’est pas ça.
- Mais pourquoi ils demandent de les jouer alors ?
- Ils ne demandent pas de les jouer. C’est juste qu’ils cirent « toca Raul! ».
- Je comprends pas.
- Je t’avais dit que c’était compliqué.
- Continue.
- Raul Seixas a eu beaucoup de succès dans les années 70, principalement avec les chansons écrites avec Paulo Coelho.
- Paulo Coelho, le magicien que tout le monde adore ici en France ?
- Lui-même.
- J’imagine déjà. De la musique de méditation, d’élévation spirituelle, c’est ça ?
- En fait, ces chansons prônaient surtout l’adoration du mal.
- Du mal ?
- Du malin.
- Hein?
- Le prince des ténèbres.
- Paulo Coelho vénérant les démons? Ca y est, je suis perdu.
- Je t’avais prévenu…
- Laisse-moi essayer de comprendre : les gens demandent des chansons de Raul Seixas, mais ne veulent pas les entendre. Et plusieurs d’entre elles ont été faites avec le diable, mais déifient Paulo Coelho.
- En fait, c’est le contraire.
- C’est pas clair.
- Lui non plus n’était pas clair. Tant est si bien qu’on l’appelait baba-fada.
- Il était fou ?
- Oui. Enfin, non. Bon, peut être. Sais pas. Et le plus bizarre c’est qu’il y a encore une tripotée de fanatiques qui s’habillent exactement comme lui.
- Et donc ce sont des babas-fada qui crient "toca Raul!"?
- Pas toujours.
- Je crois que je comprendrai jamais ce que ça veut dire.
- C’est vraiment compliqué. "Toca Raul!" est une expression très brésilienne. Aussi brésilienne que Gisele Bündchen.
- Gisele Bündchen? Elle est pas Allemande ?
- Oh, ca va, hein !

vendredi 5 juin 2009

Le nombril du monde

Moi, c’est Daniel. J’habite à Paris. Paris est en France. La France est le pays de la tour Eiffel. La tour Eiffel a été construite pour l’exposition universelle de 1889. L’exposition universelle de 1889 a été organisée en hommage aux 100 ans de la chute de la Bastille. La Bastille était une prison qui a été détruite pendant la Révolution française. La Révolution française c’est quand les Parisiens ont pris goût à la trilogie liberté, égalité, fraternité, mais aussi à la décapitation royale. Par décapitation royale, Louis XVI a perdu la tête, de même que sa femme Marie-Antoinette. Marie-Antoinette est celle qui disait au peuple : « vu qu’il n’y a pas de pain, mangez de la brioche ». La brioche est apparue en Normandie. En Normandie, on mange de délicieuses crêpes, c’est aussi le lieu du débarquement des troupes alliées, décisif pour la fin de la IIème Guerre mondiale. Au cours de la IIème Guerre mondiale, la France du Maréchal Pétain a collaboré avec Hitler le moustachu et les Allemands. Les Allemands ont disputé et abandonné aux Français, au XIXème siècle, le contrôle de Strasbourg. A Strasbourg ont habité Mozart, Pasteur, Gutenberg et Calvin, un des leaders de la réforme de l’église catholique. L’église catholique est celle qui parle de désintéressement mais n’a jamais cessé de prélever la dîme. La dîme était également exigée par de nombreux rois dans l’Antiquité. L’Antiquité est une époque qui est passée il y a très longtemps. Le temps, disait le français Nostradamus, n’est que la décomposition de la matière. Parmi les matières enseignées à l’école, je détestais la biologie végétale, mais j’adorais la géométrie. La géométrie doit beaucoup à René Descartes, un des pères de la philosophie moderne. La modernité est une époque qui passe et repasse. Celle qui repasse chez mes parents s’appelle Dona Evandete, tous les jeudis. Jeudi signifie « jour de Jupiter », en latin. Le latin est la langue qui a donné naissance, entre autres, au portugais, à l’espagnol, au roumain, au catalan, au français et à l’italien. Français et Italiens ne cessent de s’agresser mutuellement. Une des agressions récentes est le coup de tête de Zidane au défenseur Materazzi. Materazzi est un des héros de l’équipe italienne qui a gagné la Coupe du monde en 2006. 2006 était l’année du rat. Le Français Blek le rat utilise des pochoirs pour faire d’incroyables graffitis dans la rue. La rue est à l’extérieur de la maison. Ma maison est un appartement, ou disons, un petit chez moi. Moi, c’est Daniel. J’habite à Paris.

vendredi 27 mars 2009

Calendrier hivernal

- Fait froid, hein ?
- Le pire est passé.
- Passé par où ?
- Passé. Terminé, c'est fini. Maintenant c'est le printemps.
- Ben ça n'empêche pas qu'il fasse froid.
- Tu n'es jamais content. L'été tu te plains d'avoir chaud et l'hiver de te geler.
- C'est l'air parisien.
- Qui te donne froid ?
- Non, qui me pousse à râler tout le temps.
- Ben au moins la saison est terminée.
- Ca aura été long.
- Ca, c'est sûr.
- J'ai d'ailleurs compté combien de temps dure l'hiver ici.
- Ben, trois mois, comme partout ailleurs.
- Trois mois sur le calendrier mais la sensation polaire dépend d'une région à l'autre. Ou tu crois vraiment que les gens vont à la plage en Antarctique quand c'est l'été ?
- C'est vrai.
- Alors, tu veux savoir ?
- Dis-moi.
- On est d'accord qu'en automne il fait déjà froid ?
- Oui.
- Alors, tu ajoutes automne et hiver. 180 jours de températures glaciales.
- Ok, 180 jours. Mais il reste une demi-année de chaleur.
- Pas du tout. Le printemps arrive et tout le monde continue à porter des vestes. Ajoute 45 jours.
- Continue.
- Et quand il fait gris ? Y a qu'à Paris que le temps est aussi pourri.
- C'est vrai que c'est parfois un peu dur. Ca doit faire dans les 3 mois de grisaille par an, c'est ça ?
- Exactement. 90 jours.
- On en est à 315.
- Et alors un matin, tu te réveilles et tu vois par la fenêtre un soleil à tout casser. De bonne humeur, tu descends en short et en tongs mais là, surprise, à peine sorti de l'immeuble, le froid te gèle jusqu'au pancréas.
- C'est terrible.
- Je ne te le fais pas dire.
- Il est de quel côté, déjà, le pancréas ?
- Aucune idée. A l'intérieur.
- Ok Genius, continue.
- L'année dernière, y en a eu 26 de ces fausses alertes.
- Et tu t'es fait avoir les 26 fois ?
- Non, 25 seulement. La dernière, je m'étais préparé.
- Je crois que si l'hiver a congelé un truc, c'est ton cerveau.
- Tu comptes ou quoi ?
- Oui je compte. On en est à 341.
- Et j'ai pas encore comptabilisé les tempêtes estivales, communes par ici. J'ai lu dans le journal qu'en 2008 y en a eu 22.
- Selon tes calculs ca fait 363 jours de froid. Il reste 2 jours de soleil.
- Pas du tout. T'as oublié les deux fois où il a neigé ?
- T'es trop fort.
- C'est aussi ce que dit ma mère.
- En fin de compte, l'important c'est que l'été arrive.
- C'est vrai. J'en pouvais plus.
- Et tu as prévu quoi pour les vacances ?
- Je pars au Brésil.
- Au Brésil ? mais c'est l'hiver là-bas. Qu'est ce que tu vas y faire ?
- Ben, utiliser tous les pulls que j'ai achetés, bien sûr.

vendredi 20 mars 2009

Saudade

C’est à la fois cliché et irrésistible. Aller au Brésil est synonyme de chronique de voyage. Chronique de périple de voyage peut-être. Chaque détail a un sens différent quand le chemin pris est celui de la maison que vous n'avez pas vue depuis longtemps. De la nièce qui parle plus que le perroquet du voisin. De la ville qui vous est familière mais étrangement différente pour ceux qui n’y sont pas nés. Des parents, frères et sœurs, grands-parents, oncles, cousins, amis, odeurs, goûts, climats, couleurs et sons desquels on est resté éloigné trop longtemps mais qui sont toujours à vos côtés, où que vous soyez.

Pour certains, le Brésilien est trop nostalgique. Ce n’est pas de notre faute si le mot saudade n’existe qu’en portugais – ou brésilien comme ils disent en France. Ce n’est pas comme “tu me manques“. C’est la saudade. Facile à comprendre et difficile à expliquer. Une fois, en cours de français, la prof a demandé à chacun de nous de choisir un mot dans sa langue et de le traduire aux autres. J’ai choisi saudade. Ca n’a pas été facile. J’ai essayé de rendre hommage à la beauté du mot mais nombre de ses sens ont dû m’échapper.

Dans l’avion, je regarde par la fenêtre. Je préfère les vols de jour aux vols nocturnes, bien que ce soit plus difficile de s’y reposer vu que j’adore observer le ciel et le tapis de nuages. Nuages qui changent de forme à mesure qu’on s’approche du Brésil, où ils paraissent moins denses. D’autant plus quand on arrive en plein carnaval, quand tout est plus léger, plus libre et plus joyeux. Le carnaval est peut être le comble de l’identité brésilienne. Si tant est qu’on puisse définir une seule identité dans un pays grand comme l’Europe. Enfin, tel est l’esprit du carnaval, joyeux et décontracté, ce qui me manque le plus de l’autre côté de l’Atlantique.

Je regarde une fois de plus par la fenêtre et ca y est, on commence à survoler le Brésil. Dans mon Ipod, je mets Pavão Mysteriozo, d’Ednardo, mon premier souvenir musical, quand j’avais 2 ou 3 ans. Chanson que je garde pour les occasions très spéciales. Je suis ému. Je le suis toujours quand je rentre mais cette fois-ci est spéciale, sans que je sache bien dire pourquoi. Une fois de plus, on ne peut expliquer la saudade. Peut-être est-ce vraiment compliqué. Ou bien est-ce seulement ça.

vendredi 20 février 2009

Rendez-vous

Un de ces jours j'ai fait un rêve bizarre. Je buvais un verre de vin place de la République avec une femme que je ne connaissais pas. La conversation était agréable, jusqu'à ce que surgisse un compte à rebours au sommet de mon, disons, écran mental. Il indiquait que le rêve prendrait fin d'ici 5 secondes. Pétard, 5 secondes ? Au meilleur moment de la discussion ? Alors qu'on commençait à s'évanouir en fumée, tel le génie de la lampe, j'eus une idée.

- On se retrouve demain, ici même, à 14h.
- Mais où ?
- A l'angle, en face du KFC.
- Marché conclu !

J'ai jamais fait attention s'il y avait vraiment un KFC à République. J'ai vérifié le lendemain, sur internet, et à ma plus grande surprise il y en avait bien un, exactement à l'un des angles de la place. Inutile de préciser que j'ai passé la matinée à attendre l'heure du rendez-vous. Je suis même arrivé en avance, contrairement à mon habitude.

Le thermomètre indiquait 5 ºC. Fastoche, pour celui qui a déjà affronté - 8ºC. Tant et si bien que je me suis installé à la terrasse, à l'angle en question, un peu admiratif de ma nouvelle insensibilité au froid. C'est alors que je me suis souvenu de mon déguisement d'ours polaire, avec un gros pull en laine et une doudoune. Bon, disons quasi insensibilité.

Je n'étais pas bien sûr qu'elle viendrait. Sans compter que ca n'allait pas être facile de reconnaître un visage que je n'avais vu qu'une fois, en rêve qui plus est.

Une dame s'approche et s'arrête devant la carte. C'était pas elle. Une plus jeune arrive à la suite, écoutant son iPod à fond. On s'est regardé dans les yeux. Un instant j'ai cru que ça pouvait être elle, mais elle ne m'a pas reconnu. Ce n'était pas elle non plus.

J'observe le paysage alentour. Au milieu de la place, la statue construite en hommage au retour de la République en France, après le règne des empereurs. Les arbres sont encore dépouillés. De la fumée sort de la bouche des gens quand ils parlent. Et ils parlent les langues les plus variées. Anglais, italien, espagnol, portugais, langues orientales, slaves et tant d'autres qui sont pour moi du chinois.

J'ai cru la voir sortir d'un café à côté. Mais elle passe devant moi sans même me remarquer. J'en considère une autre, arrêtée exactement où nous en avions convenu. On dirait qu'elle attend quelqu'un. Elle regarde sa montre, impatiente, puis dans ma direction. Je me passe la main dans les cheveux, dissimulant un timide signe. Au même moment, une voiture s'arrête devant elle. Elle monte. Dommage.

C'est une belle journée. Le ciel est presque bleu. Le soleil se reflète dans les vitres des immeubles, révélant une faible lumière oblique. Ca suffit à en faire une agréable journée d'hiver.

Et c'est à cet instant exact que je me rends compte qu'elle est à côté de moi. En fait, elle était déjà là quand je suis arrivé. Je reconnais son visage. C'est celui de tous ceux qui passent par ici. C'est le noir, l'asiatique, le scandinave, le sud-américain, tous. Ce sont les voitures, les bus, les vélibs, les motos. Le KFC et le McDonald à coté des traditionnels cafés et brasseries. La dame qui fume, le monsieur et ses courses, la jeune fille aux lunettes à la mode, la mère et sa fille qui apportent des fleurs à quelqu'un, les adolescents avec leurs guitares, le chien en laisse, le voyageur et ses lourdes valises, le couple enlacé et passionné, les pigeons au milieu des gens, la vieille dame aux cheveux rouges, les mégots encore allumés sur le sol, le jeune père qui pousse une poussette.

Il est 14h30. Je suis là depuis plus d'une demi-heure. Et elle, Paris, depuis bien plus que ça.

vendredi 9 janvier 2009

Question cavalière

- Bonjour.
- Bonjour. Qu'est ce que je vous sers aujourd'hui ?
- 300 grammes de viande hachée.
- Du steak haché, très bien ! Bœuf ou cheval ?
- Comment ?
- Je vous ai demandé si vous vouliez de la viande de bœuf ou de cheval ?
- Comment ça, de cheval ?
- De cheval. Vous savez, l'animal qui hennit et montre les dents. Fréquent dans les westerns américains, généralement avec un Indien sur le dos.
- Qui meurt à la fin, en général.
- Qui, le cheval ?
- L'Indien. Surtout si John Wayne est dans le film.
- Bon, vous connaissez donc l'animal.
- Quel animal, John Wayne ?
- Non, mon Dieu, le cheval.
- Pas personnellement. Pas au point de lui taper sur l'épaule, lui téléphoner ou aller boire un coup avec lui. Mais je vois de quoi vous voulez parler.
- Alors, quelle viande hachée vous voulez ?
- Comment pouvez-vous faire une chose pareille ?
- C'est pas difficile, c'est la machine qui les prépare directement.
- C'est pas de ça dont je parle.
- De quoi alors ?
- Comment avez vous le courage de manger du cheval?
- Et les Chinois, ils mangent pas du chien ?
- Dans leur cas c'est compréhensible. Ils ont les yeux fermés et doivent croire que c'est du filet mignon.
- Et en Laponie? J'ai un ami qui m'a dit qu'ils raffolent du foie de renne.
- Ca doit être pour ça que tant d'enfants ne reçoivent pas de cadeaux de Noel. Vous imaginez un tel détournement dans l'équipe du gros barbu ?
- Au Venezuela c'est pas mieux, ils s'étriperaient pour une assiette de tarentules.
- Et ils se curent les dents avec les pattes après le déjeuner ?
- Tout ça pour vous dire que c'est tout à fait normal qu'on mange du cheval. C'est une question purement culturelle.
- Suis pas convaincu.
- Pourquoi ?
- Parce que non. Tout simplement.
- Vous avez déjà goûté ?
- Vous êtes fou ou quoi ?
- Vous devriez. Je suis sûr que vous adoreriez.
- Jamais. Des fois que je me mette à trotter, on sait jamais.
- Comme vous voulez.
- Bon, merci quand même. Je vais me débrouiller avec mes restes de soupe de cœurs de poulet d'hier.
- Cœurs de poulet ?
- Oui.
- Beurk.
- C'est quoi le problème ?
- Beurk, beurk !
- Pas du tout. Pourquoi beurk ? Vous avez déjà goûté ?