vendredi 25 novembre 2011

Louise

Je voudrais que tu grandisses vite pour te voir faire tes premiers pas et pouvoir marcher en te donnant la main dans la rue, toi sur la pointe des pieds et moi me baissant un peu, jusqu'à ce que tu sois fatiguée et que tu me tendes les bras, sans avoir besoin de dire un seul mot.

Je voudrais que tu grandisses vite pour aller au jardin, faire des pique-niques, monter sur la balançoire, faire du tourniquet à en avoir la tête qui tourne et en descendre en titubant, jouer à trap-trap, faire des châteaux de sable, sauter à pieds joints dessus, monter au toboggan à l’envers, oublier le seau et la pelle dans un coin, y retourner plus tard pour les chercher et en profiter pour jouer encore un peu, et le soir, te raconter encore une histoire avant de dormir et laisser ensuite la lumière du couloir allumée parce que tu as peur des monstres.

Je voudrais que tu grandisses vite pour t’emmener avec ta mère au cinéma et te lire tous les sous-titres à voix haute, gênant tous les voisins, même ta mère, alors qu’on attaquera un seau de pop-corn plein de beurre, en en laissant tomber la moitié par terre, et sortir de la séance avec mal dans le ventre d’avoir trop ri de ce film idiot, chercher un vendeur de hot-dog et le dévorer en marchant dans la rue, sans faire attention à la sauce qui dégouline et tache nos t-shirts.

Je voudrais que tu grandisses vite pour t’apprendre la table de 7, la conjugaison du verbe s’asseoir au plus-que-parfait, l’histoire des Beatles, la position de la planète Jupiter et l’importance de manger de la salade.

Je voudrais que tu grandisses vite pour qu’on aille à la plage faire une manche décisive du championnat mondial d’arbre droit dans l’eau, suivie du fameux concours de celui qui mange le plus de glaces à la fraise et, en arrivant à la maison, disputer la finale tant attendue du tournoi de jeu vidéo, toutes tes copines sautant frénétiquement et criant plus fort qu’un réacteur d’avion.

Je voudrais que tu grandisses vite pour faire semblant d’être méchant devant tous les garçons de la rue qui veulent t’embrasser parce que tu es une jolie jeune fille, comme les pères de celles dont j’étais amoureux, mais qui se sont révélés sympas et m’invitaient même parfois à rester pour le goûter.

Je voudrais que tu grandisses vite pour être ému, dans un mélange de joie et de nostalgie, quand tu quitteras la maison pour habiter dans un appartement de la taille d’une boite de sardines et que tu trouveras ça génial, si fière de ton indépendance, jusqu’au jour où l’évier commencera à fuir à trois heures du matin et que tu appelleras ton vieux père pour lui demander un petit coup de main pour un bricolage-urgent-totalement-imprévu.

Je voudrais que tu grandisses vite pour que tu découvres un jour qu’il n’y a pas de bonheur plus grand que d’avoir ses propres enfants et de les voir grandir, changer et évoluer, et ce jour-là c’est bien possible que je sois un grand-père émerveillé.

En y réfléchissant bien, ce que je veux vraiment c’est que tu grandisses doucement, pour profiter pleinement de tous ces moments et de bien d’autres à tes côtés, Louise, ma fille.

vendredi 11 février 2011

Le Paris des tout-petits II


L’autre jour il a neigé à Paris. J’ai demandé à mon père ce que c’était que la neige. Il a dit que c’était de très fins glaçons qui tombaient du ciel. Alors j’ai demandé s’il y avait des congélateurs dans les nuages pour fabriquer les glaçons. Mon père a dit que c’était pas la peine, vu qu’il faisait un froid de canard là-haut et que l’eau gelait toute seule. Alors j'ai pensé à notre frigo, où l’eau congelée forme un gros glaçon et j’ai demandé s’il y avait dans le ciel une machine pour casser ce bloc de glace en plein de petits morceaux pour en faire de la neige bien fine. Il a dit qu’il voulait voir les infos et qu’on en parlerait plus tard.

C’est quand j’ai posé la question à mon grand frère que je me suis aperçue que mon père ne s’y connaissait pas des masses question neige. Mon frère est si grand que ses pieds touchent par terre quand il s’assoit sur une chaise. Il a répondu que la neige était un phénomène météorologique qui entraînait la chute de cristaux de glace. Je lui ai alors demandé ce que c’était météorologique et il a dit que je n’étais qu’une idiote. J’ai pleuré très fort et ma mère est venue demander ce qui s’était passé. J’ai dit que João m’avait traitée d’idiote et ma mère lui a dit d’aller dans sa chambre. Du coup j’ai jamais su ce que voulait dire météorologique.

Alors que ma mère me préparait un bon café au lait, je lui ai demandé ce que c’était que la neige. Elle m’a expliqué que c’était des vapeurs d’eau qui congelaient, tout là-haut, dans les nuages. Là, j’ai vraiment rien compris vu que pour moi la vapeur est chaude. En tout cas, c’est ce que répète toujours ma mère quand je m’approche de la gazinière pour voir la bouilloire cracher sa fumée. Elle dit : « Sors de là Gabriela, tu vas finir par te brûler avec cette vapeur ». Je commence à penser que ma mère n’y comprend pas grand-chose non plus. Si la vapeur est chaude, comment ça se fait qu’elle fait pas fondre la neige ?

Mais moi, je laisse jamais tomber une question. La maîtresse dit que j’ai un cerveau de scientifique, parce que j’aime bien tout savoir dans les moindres détails. Mais c’est pas ça. C’est que les adultes racontent des bêtises aux enfants, peut-être parce qu’ils ont peur qu’on comprenne pas les véritables explications. Mais ce que je crois pour de vrai, c’est qu’ils savent pas répondre, alors ils inventent n’importe quoi. Ou alors ils disent « Ecoute, c’est compliqué à expliquer », « tu es trop petite pour comprendre », « on en parlera après la novela », « demande à ton père », « demande à ta mère » ou ce genre de choses.

C’est pour ça que je suis allée demander à mon copain Mathieu. Il est très intelligent, Mathieu. Il sait déjà faire ses lacets tout seul. Moi aussi j'ai réussi l’autre jour, mais ma mère a pas arrêté de râler parce que j’avais fait tant de nœuds qu’on aurait dit une toile d’araignée et qu’elle allait être obligée de tout couper aux ciseaux et d’en acheter une autre paire. Moi je trouvais ça plutôt pas mal.

Mathieu a dit que la neige c’était ce que les adultes utilisaient pour faire des glaces. Mais que s’ils gardaient si bien le secret c’était pour que les enfants ne passent pas leur temps à en manger. Alors je lui ai demandé comment la glace arrivait dans un pays chaud comme le Brésil sans fondre. Il a dit que toutes les glaces du monde étaient fabriquées dans les pays froids et étaient ensuite transportées dans des immenses congélateurs sur des énormes bateaux.

Alors j’ai eu une super idée. J’ai dit à Mathieu que quand on serait grands on prendrait un avion, on volerait super-haut et on jetterait des parfums différents au-dessus des nuages. Comme ça il va plus jamais tomber de neige. Il va toujours tomber de la glace, toute prête. Mathieu a adoré mon idée et a dit que c’est lui qui piloterait l’avion pour qu’on puisse le faire sans demander d’aide à personne. Alors je lui ai dit que vu qu’on allait devenir riches on pourrait se marier et avoir plein d’enfants. Et juste à ce moment-là, il est parti au parc en courant. Il a beau être très intelligent, Mathieu est parfois encore un peu immature.