vendredi 14 novembre 2008

Explication au sujet de l'été français

Ça m'a pris un an et demi, mais je viens d'avoir une révélation : l'été en France, ou plutôt son absence, n'est pas la simple conséquence de la position du pays sur le globe terrestre. C'est une conséquence sémantique.

L'explication est simple.

Le mot « été », « verão » en portugais, désigne en effet la saison estivale. Mais le même mot est aussi le participe passé du verbe être, qui correspond en portugais aux verbes « ser » et « estar ». « Été » signifie donc aussi « qui a été mais n'est plus », « parti », « envolé ».

On se rend donc compte que la langue française associe pleinement le concept d'été au passé. La saison semble ne jamais arriver. Finie. Partie. Et sans perspectives de retour.

Pour illustrer la théorie, j'ai choisi au hasard une phrase réunissant les deux sens du mot « été » :

. L'été a été pourri.

A l'inverse, en portugais, le mot « verão » se prononce comme la conjugaison de la 3ème personne du pluriel du verbe « vir », venir. On a ainsi la sensation de quelque chose qui va toujours arriver. Et arriver pour de vrai.

Pour ne pas avoir l'air parti pris, j'ai aussi choisi aléatoirement une phrase en portugais qui contient les deux termes cités.

. « No verão, virão gatas bronzeadas de todos os lados », autrement dit: « cet été, les jolies filles bronzées viendront de tous les côtés »

Vous voyez ? C'est une question de perspectives différentes, dues à la grammaire.

Vu qu'il y a des manifs pour tout à Paris, je vais voir si je ne réunis pas quelques Brésiliens pour descendre dans la rue réclamer le changement du mot qui désigne la saison chaude. Peut être « veron », qui ressemble à « verão », mais dont l'orthographe et la prononciation auraient été francisées.

Je ne sais pas si ça va résoudre le problème, mais ça vaut le coup d'essayer.

vendredi 24 octobre 2008

Trois histoires pour un tableau

Jean Novion, français de nom, argentin de nationalité et brésilien par son lieu de naissance a visité le Louvre en 1996. C’était avant que le Da Vince Code transforme le célèbre musée en filiale de Disneyland et Mona Lisa en une espèce de « Nouveau Mickey ». Si c’était pas la frénésie actuelle, des milliers de personnes jouaient déjà des coudes devant le tableau, beaucoup plus d’ ailleurs pour le prendre en photo que pour réellement l’observer. Ceci malgré l’écriteau en lettres majuscules annonçant dans toutes les langues qu’il est: « interdit de photographier ».

Mais allez contrôler 200 Japonais et leurs appareils photos.

Jean suit les indications et arrive, en même temps que la délégation asiatique, devant le tableau le plus connu au monde, et dont la taille le surprend un peu.

- C’est ce petit truc riquiqui, là ?

Véritables samouraïs des temps modernes, munis d’appareils photos plutôt que d’épées, les Japonais ne se préoccupaient ni de la taille de l’œuvre ni de l’écriteau et commencèrent à la mitrailler à une vitesse digne du Guinness. Du livre des records bien sûr, pas de la bière.

Sauf que Mona Lisa est le seul tableau du Louvre à avoir sa propre garde rapprochée. Un mec payé pour vous engueuler, qui fait ça toute la journée, et qui, voyant la moitié de Tokyo dans la pièce, décida d’entamer une session d’engueulades multilingues.

- Pas de photos! No photos! Sem fotos! いいえ写真!

Réaction immédiate : les Japonais se tournent tous vers le type et, de façon synchronisée, font crépiter des centaines de flashes en sa direction. Profitant de son aveuglement momentané, ils se retournent vers la Joconde pour en prendre 250 photos supplémentaires. Satisfaits, ils tournent les talons et partent, un sourire Made in Japan aux lèvres.

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Ronald Walker, ex-punk, né en Angleterre et élevé au Brésil, profite d’un voyage en France pour faire un saut au Louvre. Arrivant à la salle où Mona Lisa repose, ou essaie de se reposer, il tourne le dos à la peinture.

- Je regarderai pas.
- T’es fou ou quoi ?
- Je ne la regarderai pas.
- Pourquoi ?
- Je veux être le premier à venir ici sans voir le tableau.
- C’est Mona Lisa, il faut la voir.
- La voir pour quoi ?
- Parce que. Parce qu’elle est sortie en livre.
- Pas lu.
- En film aussi.
- Le seul cinéma qui vaille la peine est le cinéma turc, sous-titré en araméen.
- Elle est sur des milliers de t-shirts.
- Je ne porte que ceux des Sex Pistols, troués de préférence.
- Des chansons en parlent.
- Si elles ne sont pas de Ramones, ça vaut rien.
- T’es casse-pieds, hein ? Allez, on y va.
- Attends, attends. On va faire la chose suivante : je vais jeter un œil, rapidos, mais tu le dis à personne, d’ac ?
- Marché conclu. J’ouvre pas le bec.

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Asdrúbal Inocêncio, originaire du Céara depuis 12 générations, a aussi vu la peinture de Léonard de Vinci.

- Oh bé, é pas ben joli joli la gueuse !

vendredi 17 octobre 2008

Edith n'existe pas

En mettant bout à bout les éléments de mes longues rencontres inopinées avec Edith, j’ai commencé à craindre fortement qu’elle soit le fruit de mon imagination. Elle n’existe que dans ma tête. Avant de me rendre chez le psychiatre (encore plus nombreux à Paris que les pigeons et les chiens), j’ai décidé de vous faire part des preuves qui m’ont conduit à cette conclusion.

Elle est partout en même temps

J’ai découvert qu’il suffit de l’imaginer et hop, Edith apparaît. Un de ces jours, j’ai fait le test et pensais à elle en sortant de l’immeuble. Il m’a suffit de tourner la tête pour la voir apparaître. Elle était très pressée m’a-t-elle dit. La conversation a malgré tout duré 30 minutes, ne prenant fin que lorsque j’ai dit que je devais aller au marché d’Aligre faire des courses pour le déjeuner.

A peine arrivé au marché, je croise une manifestation d’immigrés sans papiers. J’ai senti une main sur mon épaule. C’était elle, qui me tendait un tract alors qu’elle me racontait en détail toutes les raisons de la révolte.

- Daniel, il y a une marche aujourd’hui, à 15h. J’y serai.

Je n’en ai pas douté un instant.

Le soir même, j’allais au resto associatif du quartier et pensais une nouvelle fois à ma voisine. En entrant, elle était déjà là, aidant un couple d’Italiens à préparer le dîner.

- Salut Daniel. Je ne peux pas discuter maintenant.

- T’inquiète pas. Vraiment.

L’avantage de cette omniprésence c’est que quand on a besoin d’elle, elle….

...résout les problèmes de tout le voisinage

Besoin d’un peintre pour refaire votre salon ? Edith en connaît un. Vous voulez acheter une table ? Elle connaît les magasins qui font des promotions. Le chauffage central ne fonctionne pas bien ? Parlez-lui en et le jour suivant il sera réparé. Edith a une réponse et une solution à tout. En plus d’omniprésente, elle est omnisciente.

Mais bien qu’elle soit toujours là quand j’ai besoin d’elle, ce qui m’intrigue c’est que ...

... mes amis ne l’ont jamais vue

Plusieurs d’entre eux sont déjà venus me voir à Paris. Tous demandent de ses nouvelles. De mon balcon, je leur montre son jardin et leur raconte l’histoire de la chute du pied de table, leur disant qu’à un moment ou un autre, ils vont bien finir par la croiser. Aucun n’y est arrivé. Y en a même une qui a monté la garde devant l’immeuble, un appareil photo à la main, attendant une dame de soixante et quelques années, les cheveux rouges. Elle a même pris une vieille punk en photo, tout juste arrivée de Woodstock à pied. Mais Edith, pas une trace.

Même si elle persiste à ne pas se montrer à mes amis, elle continue à m’apparaitre. Récemment, elle est souvent accompagnée de…

...monsieur Thésée

Edith a un ami inséparable et complémentaire. Alors qu’elle parlerait aux murs, il n’ouvre pas la bouche. Le bien nommé s’appelle Monsieur Thésée, ce qui fait beaucoup de coïncidences, je ne vous le fais pas dire.

Monsieur Thésée et Edith forment un couple parfait, bien qu’ils ne soient pas mariés puisqu’elle...

...est mariée avec une légende

Les doutes sur la supposée existence de ma voisine ont cessé lorsqu’elle m’a présenté son mari. C’est là que je me suis rendu compte que je délirais vraiment. Et pour cause : il est finlandais, rondouillard, souriant, bon enfant et porte barbe et cheveux blancs. Edith, en fin de compte, est mariée avec le Père Noël.

Les pièces de mon possible délire s’emboitent si bien que je songe faire appel à un psychiatre. Je vais demander à Edith si elle n’en a pas un à m’indiquer.

samedi 6 septembre 2008

Paris, 2155

En 2155, un père et son fils se promènent le long du Sunny, anciennement appelé la Seine.

- Ici se dressait la Tour Eiffel, mon fils. Un des symboles de la vieille France.
- Jamais entendu parler.
- Elle était énorme.
- Elle servait à quoi?
- On n'a jamais bien su. Je crois qu'elle avait été construite pour une exposition.
- Et elle rentrait dans une salle d'exposition?
- Elle n'était pas dans une salle, elle était en plein air. C'était un haut lieu touristique, les gens venaient de partout pour y monter. Mais tout ça était avant que McDonald's transforme le lieu en drive thru, qui est ensuite devenu le plus grand fly thru du monde.
- Ah, mais ça fait longtemps alors?
- Très. Ton grand-père en a des photos holographiques, tu ne les as jamais vues?
- Je crois que si. Ce sont celles où Mamie tient un énorme pain allongé de hamburger?
- Ils appelaient ça baguette, mais ce n'était pas pour faire des hamburgers.
- Si c'était pas pour faire des hamburgers c'était pour quoi faire, alors?
- Ah, mon fils, à l'époque les Français mangeaient cette baguette accompagnée d'autres choses, comme du fromage, du pâté ou du jambon.
- C'était qui les Français, Papa?
- Les habitants de la vieille France. Ils buvaient beaucoup de vin et parlaient une langue étrange, appelée le français.
- Bizarre.
- Je ne te le fais pas dire. C'est pour ça que dès qu'il a pris le pouvoir, Ronald McDonald II a décidé de mettre un terme aux vestiges de cette civilisation. Son premier chantier a été de modifier l'hymne national.
- Je connais l'hymne de la République de Patates Frites Françaises, Papa. C'est celui qui commence par "Deux steaks hachés, laitue, fromage, sauce spéciale..."
- Très bien mon fils. Et après cette sublime introduction, il y a aussi la deuxième partie, qui décrit les merveilles de la terre promise de Mickey le sage.
- Tu sais Papa, l'autre jour les professeurs-androïdes nous ont parlé de Napolimão.
- Napoléon, le fameux empereur.
- Les androïdes nous ont dit que c'est lui qui a fait construire l'arc qui sert de porte d'accès au musée de la paix George-Bush.
- Exactement. Je suis bien content de voir qu'on vous apprend des choses si importantes à l'école.
- Mais Papa, y a quelque chose que je ne comprends pas. A l'école, ils nous ont dit que notre ville, New Hollywood of Europe, s'appelait Paris.
- C'est vrai.
- C'est à cause de Paris Hilton, le mannequin polémique du siècle dernier?
- Bien sur que non, chéri. Quand Paris Hilton est née, la ville de Paris existait déjà depuis bien plus que 10 ans.
- Une autre chose qu'ils nous ont racontée c'est que les Français étaient des gens de super mauvaise humeur.
- Il parait, mais personne n'en a vraiment la certitude. Ce dont on est sûr c'est que l'IDBH, l'Indice Dingo de Bonne Humeur a considérablement augmenté depuis que Ronald McDonald IV a institué Uncle Sam's Day.
- J'adore Uncle Sam's Day. C'est émouvant de voir tout le monde porter des chaussures du dimanche avec chaussettes, bermuda et casquette pour faire griller des steaks hachés sur le barbecue communautaire de la place de la Bastille.
- C'est une fête nationale très importante, tu sais chéri?
- Papa, cette conversation m'a donné soif.
- Allons au Pizza Hut Notre-Dame. Tu pourras boire un Coca Spatial et moi un café.
- C'est quoi un café, Papa?
- C'est le mot français pour désigner notre boisson préférée.
- Un Kofi Annan?
- Exactement.
- Mais pourquoi ils appelaient ça un café?
- Sais pas chéri. Les Français étaient vraiment bizarres.

samedi 26 juillet 2008

A la recherche du pain français

– Trois pains, s'il vous plaît.
– Lequel ?
– Du pain français. J'en voudrais trois, s'il vous plaît. Bien cuits.
– Du pain français ?
– Oui. Vous n'en avez pas ?
– En France, techniquement, tous les pains sont français.
– C'est un petit pain, regardez, comme ça.
– Un croissant ?
– Non, non. C'est celui qui ressemble à un zeppelin, vous voyez ?
– Une baguette ?
– Non, les baguettes ressemblent plus à des sous-marins. Lui ressemblerait à une baguette qui a rétréci.
– Ah! C'est la minibaguette, alors.
– Non, plus petit encore.
– Ben, une demi-minibaguette ?
– Une demi-minibaguette n'est ni plus ni moins qu'une minibaguette, sauf que coupée au milieu.
– C'est vrai.
– Imaginez que la baguette est le père.
– J'imagine.
– Le pain français serait son bébé potelé.
– Jamais entendu parler.
– C'est le pain de tous les jours au Brésil.
– Et vous l'appelez pain français ?
– Oui.
– C'est que.... comment dire ? Je crains qu'il n'y en ait pas en France.
– On nous aurait menti pendant tout ce temps ?
– Je suis un peu désolée de vous dire ça comme ça.
– Je suis en état de choc.
– Il nous reste toujours des baguettes, vous en voulez une ?
– Oui, bien cuite.
– Laquelle ? Normale ? Traditionnelle ? Intégrale ? Aux céréales ?
– Mais c'est compliqué d'acheter du pain ici, hein ?
– Qu'est ce que vous voulez ? On est en France, on a des dizaines de pains différents.
– A l'exception du pain français.
– Effectivement.
– Bon, si c'est ça donnez-moi une baguette aux céréales, s'il vous plaît.
– Voilà, Monsieur.
– Vous pouvez me l'emballer ?
– Pardon ?
– La mettre dans un sac.
– C'est qu'ici...
– J'ai compris : on met pas le pain dans un sac ?
– C'est ça.
– Vous allez me dire que je n'ai qu'à l'emporter sous le bras ?
– Exactement.
– J'ai changé d'avis, vous pouvez me faire un sandwich ?

vendredi 30 mai 2008

Les amis, c'est les amis

- Allo.
- Qui est à l'appareil?
- Jacques Bodin.
- Jacques Bodin?
- Lui même.
- La crapule sans scrupules?
- Tu me manquais aussi.
- Comment diable as-tu l'arrogance de m'appeler?
- Du calme, tu n'es pas obligé de t'énerver comme ça.
- Pas obligé? Tu étais mon associé, doublé de mon meilleur ami jusqu'à ce que je sois obligé de passer une semaine à Lyon et de te demander de garder ma maison.
- Et alors, je l'ai gardée, non?
- Tellement bien qu'à la fin tu as pris la poudre d'escampette avec ma femme.
- C'est vrai que ça ne faisait pas partie du contrat, mais je ne suis pas le seul responsable.
- Tu es vraiment une canaille.
- Je sais. Mais je le regrette.
- Facile à dire, trois ans plus tard.
- Oh fan! déjà trois ans? le temps passe vite, hein?
- Finies les tergiversations. Qu'est ce que tu me veux?
- Te rendre Marie.
- Me la rendre?
- J'en veux plus.
- Je ne suis pas sûr de comprendre.
- Je la supporte plus.
- Trop tard, tu l'as prise, tu la gardes.
- Tu pourrais bien faire ça, au nom de note vieille amitié.
- Quelle amitié? Elle s'est volatilisée le jour où vous avez fui à Toulouse.
- Marie se plaint toute la journée.
- Ça, c'est pas nouveau.
- Elle râle si je ne prépare pas le dîner.
- Je connais la rengaine.
- Elle râle aussi quand je le prépare puisque ce n'est pas à son goût.
- Elle est encore comme ça?
- Je te raconte même pas.
- Elle grimace quand tu arrives en retard?
- Tu n'imagines même pas la scène.
- Si, si, j'imagine très bien pour l'avoir vécue quinze ans. Mais je n'ai aucune envie de discuter de ça avec toi, bandit.
- Oh, excuse-moi! Mais ma vie est devenue un tel enfer à ses côtés. J'ai même pas le droit de regarder le foot à la télé.
- Même pas le foot?
- Rien, elle monte tout de suite sur ses grands chevaux. Au mieux un feuilleton à l'eau de rose.
- Les séries c'est vraiment dur.
- Le pire c'est qu'elle adore les plus mièvres pleines de chichis.
- Elle change pas cette Marie.
- Pas un brin. Alors, tu la récupères?
- Pas moyen.
- Combien tu veux? Tu la récupères et en prime tu reçois un petit chèque.
- T'es fou ou quoi?
- Pas encore, mais je le deviens. Ma vie est un ...
- Je sais, je sais. Un véritable enfer.
- Et si on s'en débarrassait?
- Hein?
- En finir avec la morue. Qu'est ce que tu en penses?
- L'idée n'est pas mauvaise. Elle le mériterait même. Mais pas tant que toi, truand.
- On réglera nos comptes plus tard. Commençons par nous occuper de la mégère.
- Et tu penses à quoi?
- Sectionner les freins de sa voiture. On fera passer ça pour un accident.
- Impossible. C'est du déjà vu. Et si on mettait du poison dans son verre? J'imagine qu'elle boit toujours autant de vin rouge.
- Oh, plus encore.
- Marie bourrée c'était dur à supporter.
- Crois moi, ça l'est toujours autant.
- Bon, c'est facile. Deux gouttes de cyanure devraient suffire.
- Je sais pas. Et si on simulait un déjeuner de réconciliation. Tous les trois. Et on lui ferait avaler des huîtres avariées. Impossible de s'en sortir.
- Jacques, tu es un génie.
- Tu n'es pas mal non plus.
- Comment a-t-on pu laisser ces petits différends avoir raison de notre amitié?
- Tu m'as manqué aussi, tu sais?
- Bon, parlons affaires. On déjeune où?
- Comme d'habitude, Chez Paul. Demain, ça te va?
- Demain, Chez Paul. N'oublie pas Marie.
- Bien sûr. A demain, mon pote.
- A demain, mec.

(Plus ou moins inspiré d'une histoire plus ou moins réelle)

lundi 10 mars 2008

365 jours en France

Etat des lieux chiffré de ma première année en terres napoléoniennes.

. 100
bouteilles de vin, à la maison, au bar ou dans des fêtes
. 11
rencontres fortuites avec Edith, monopolisant au total 670 minutes de mon temps
. 54
mètres de baguette consommés

. 70
apéros. A moins que ce soit 72.

. 1 fois refoulé à l'entrée d'une fête
. 32
bières chaudes

. 23
tentatives de marchandage au marché d'Aligre ; seules 3 ont abouti

. 8 croque-monsieurs, dégustés à la fourchette et au couteau
. 30
m2 d'appartement

. 500
km de Vélib, dont 6 sous une pluie diluvienne

. 12
jours de température négative

. -8 ºC une fois
. 96 coups d'oeil à la météo avant de sortir
. 4
assiettes de feijoada

. 40
euros le kilo de filet mignon

. 8
fois où j'ai eu les moyens d'en acheter

. 47
fromages différents goûtés

. 375
"ben oui" entendus

. 1574
"ça va pas" entendus

. 4
mois à écorcher la langue française

. 25
blagues supportées sur le fait que les Français gagnent toujours contre le Brésil au foot

. 25
réponses : " je suis italien aussi", histoire de leur rappeler qui a gagné la dernière Coupe du monde

. 25
autres : " d'ailleurs, le maillot brésilien a 5 étoiles, et le votre ?"

. 1
coup de boule à Zidane dans l'estomac d'un pauvre Français

. 3
matches de rugby regardés : insuffisants pour comprendre pourquoi ce sport existe

. 3
après-midi passés chez Ikea : trois fois trop dans la vie d'un homme

. 7 promenades à la tour Eiffel, mais une seule ascension, le temps d'attente étant d'environ 3 heures
. 2 fêtes en tant que dj à bord de péniches sur la Seine
. 1
casse-pieds brésilien qui m'a embêté tout au long de la première fête

. 67
retards à mes rendez-vous

. 50
textes dans ce blog

. 1
d'entre eux censuré

. 6
mois d'attente pour repeindre l'appart après un dégât des eaux

. 6 pompiers et 3 policiers pour cette même fuite d'eau
. 2 mois de réveil forcé à 5 heures du mat' grâce au discret radio réveil du voisin
. 6 numéros de Brazuca en tant que rédacteur en chef
. 15 visites d'amis brésiliens
. 3 visites de la tombe de Jim Morrison, au cimetière du Père Lachaise
. 65
tee-shirts des Doors aperçus dans ce même cimetière

. 4
clones de Jim Morrison aussi

. 43
retours de bars puant la cigarette des autres

. 8
bricolages, plus ou moins réussis

. 622
changements de lignes dans le métro

. 21
"non, je ne sais pas danser la samba"

. 21
démonstrations du fait que je ne sais vraiment pas danser la samba

. 35
"ça suffit, ça suffit" entendus à ces moments-là

. 365
jours que j'essaie désespérément de parler avec la bouche en cul-de-poule

vendredi 22 février 2008

Roulez jeunesse!


Demba est l'heureux propriétaire d'un taxi collectif. Par taxi, il faut comprendre véhicule tombant en morceaux, un fil devant être tiré pour fermer la porte, une fenêtre qui ne s'ouvre pas et qui, une fois ouverte ne ferme pas, sans compter le difficile processus auquel il faut se plier pour que la ceinture de sécurité passager soit effectivement bouclée. Le compteur ne fonctionne pas, pas plus que la jauge d'essence. Mais Demba a une relation si fusionnelle avec sa voiture, qui est aussi son outil de travail, qu'il sait exactement à combien il roule et quand il devient urgent de faire le plein. Je dois avouer que j'étais terrifié la première fois que j'y suis monté.

Demba est venu nous chercher à l'aéroport de Dakar pour nous emmener à 80 km de là, à Tubab Dialow. La nuit, sans embouteillages, il nous a fallu environ 2 heures.

Quelques jours plus tard il nous accompagnait à Joal, 100 km au sud de Tubab. Cette fois encore, 2 heures de trajet. "Mais comment est-ce que ça peut être si long?" me demandais-je.

De Joal nous devions aller sur une île assez proche. Demba ne pouvait pas nous attendre mais nous a donné toutes les indications pour nous y rendre.

- Pour rejoindre le quai d'où part le bateau, prenez un "7 places" mais attention, ne payez pas plus de 100 francs. Au retour, le bus vous laissera à Diam Niadio d'où je fais la navette avec mon taxi. De là, je vous ramènerai à la maison.


Le "7 places"

Ce n'est qu'au garage, sorte de gare routière locale, que je compris ce qu'était un "7 places". C'est une simple voiture, où s'entassent 7 personnes, 2 devant à coté du chauffeur, 4 derrière, et Allah reconnaîtra les siens.

- C'est combien?
- Deux mille.

- Trop cher.

- Mille cinq cents.

- Mille.

- Mille chacun et deux cents pour le sac.

- Mille.

- Monte.


Après l'éternel marchandage, je montais dans le taxi, mon sac à dos 60 litres déposé dans le coffre. Le porte bagages était plein de colis divers et variés ainsi que d'une cinquantaine de balais en paille qui tombèrent au premier virage.

- Balais! Balais! Balais!

Le chauffeur s'est arrêté pour nous laisser descendre et ramasser les objets éparpillés sur la route en terre. Quand je me suis aperçu de la taille de chacun de nous hors du véhicule, j'ai eu de sérieux doutes sur les possibilités d'y tenir à nouveau. Nous y sommes pourtant bien entrés, sans que je sache comment, et sommes rapidement arrivés à l'embarcadère.


N'Diaga-N'Diaye et la relativisation de la réalité

En théorie, le retour aurait dû être simple: un "7 places" jusqu'à un proche village, suivi de deux bus. L'aller ayant pris deux heures, le retour ne devait, selon mes calculs, pas durer plus de trois.

Les "7 places" fut facile, nous étions déjà experts. Il nous a déposé au terminus des N'Diaga-N'Diaye, les bus sénégalais. Le notre était là, attendant d'être plein pour partir.

- C'est combien?
- 1000.
- On m'a dit que c'était 300.

- En fait c'est 500.
- Tiens, voila 300.
- Monte.


Je suis monté, sans savoir que passer cette porte signifiait embarquer pour un voyage sans retour : personne n'est jamais plus le même après un trajet en N'Diaga-N'Diaye.

Comme le bus était à demi vide, je choisis la place derrière le chauffeur. Il est entré à son tour, s'est assis et essaya de mettre le contact. Rien, pas un bruit. Pas préoccupé pour un sou, il descendit pour entrer en grande conversation avec un type qui passait par là. Après avoir acheté un sachet de cacahuètes, il revient, les bras chargés de deux grands récipients sans couvercle contenant un liquide non identifié qu'il posa à ses pieds. Il a essayé une nouvelle fois de démarrer et, contre toute attente, démarra.

Une chose qui n'a pas encore été inventée au Sénégal est l'arrêt de bus. Les montées et descentes sont régies par un code élaboré. Pour monter, tenez vous sur le bord de la route et faites signe au chauffeur. Où que vous soyez, il s'arrêtera. Pour descendre, donnez deux coups secs sur le toit. Il n'y a pas de sonnette et si vous criez il n'entendra pas. Une seule solution: deux coups secs sur le toit.


Vous pouvez vous serrer un peu?

A ce moment du trajet, j'en suis même arrivé à penser que c'était pas si terrible qu'on le racontait. Mais ce sentiment m'a très vite quitté.

Quelqu'un faisait un signe sur le bord de la route? il s'arrêtait. 100 mètres plus loin, une autre personne, un autre signe? Nouvel arrêt. Un tout petit peu plus loin un autre passager remuait déjà la main pour monter. J'ai rapidement trouvé qu'on était suffisamment serrés comme ça. Il a fallu que je prenne mon sac à dos sur les genoux. Je cherchais des yeux la plaque indiquant la capacité maximale. Je ne trouvais qu'un vieux carton accroché au pare-brise indiquant notre destination et les photos jaunies d'un homme fort au torse nu s'entraînant pour un concours de lutte ou quelque chose du genre.

Alors qu'on était serrés comme des sardines, le chauffeur vit quelqu'un qu'il connaissait. Il s'est arrêté au milieu de la route et commença à discuter avec lui. Ça a dû durer environ 3 minutes, le temps qu'une dizaine de femmes passent par les fenêtres leurs mains chargées de sachets de noix de cajou, poivrons et autres oeufs durs. Mon voisin se risqua à acheter les légumes. Les poivrons figurent pour moi juste au dessous du panettone dans la liste des aliments en "p" que je déteste. "Pickles" est le premier de la liste.

Conversation terminée, nous poursuivons notre route. Quelques minutes plus tard, une forte odeur d'essence flottait dans l'air. Le chauffeur s'arrête brusquement et je découvre qu'un des récipients qu'il transportait venait de se renverser. C'est ainsi que je compris la nature du liquide sur lequel un passager vida une bouteille d'eau dans l'idée de le diluer. Pour éviter ce genre de désagrément, le chauffeur décida de verser le contenu du deuxième récipient directement dans le réservoir, sans même prendre la peine d'éteindre le moteur. Je voyais la catastrophe arriver mais l'impassibilité de mon voisin, tout absorbé qu'il était par ses prières, me rassura. Si Allah devait sauver quelqu'un ce serait lui. Comme j'étais juste à coté, je bénéficierais sûrement de sa clémence.

Fin du premier voyage, tout le monde descend. On était encore loin du point de rencontre avec Demba et il nous fallait prendre un autre N'Diaga-N'Diaye. D'un coté j'aurai voulu sauter dans le premier qui passait. De l'autre, j'avais besoin de quelques minutes pour récupérer. Le hasard fit bien les choses et le premier qui passa arriva une heure et demie après, les précédents étant si pleins qu'ils ne s'arrêtaient même pas. J'étais si épuisé que je n'ai même pas vraiment marchandé.

- C'est combien?
- 1000.

- 800?

- 1000.

- Ok.


Cent kilomètres plus loin et 7 heures après être partis, nous sommes arrivés à la station essence de Diam Niadio où nous attendait Demba. Je me débarrassais à peine d'une centaine de taxis m'offrant leurs services quand j'aperçus mon ami de loin. C'était pas vraiment mon ami mais à ce moment il fut presque élevé au rôle de frère. Je l'ai embrassé plus fort qu'il ne s'y attendait.

- Demba!
- Daniel!
- Tu peux pas savoir comme je suis content de te voir.

Cette fois-ci sa voiture était encore plus chère à mes yeux qu'une Rolls Royce.

vendredi 1 février 2008

Le Paris des tout-petits


- Y a des petits oiseaux à Paris?
- Beaucoup.
- Ils parlent français?
- Il m'a bien semblé noter un petit accent.
- Ils volent près de la Tour Eiffel?
- Oui. Et près de Notre-Dame aussi.
- Mais les gargouilles les mangent pas?
- Et toi, à ton âge, tu sais déjà ce qu'est une gargouille peut-être?
- J'ai vu sur Google.
- Alors tu devrais savoir qu'elles sont pétrifiées.
- Ça doit être fatiguant d'être pétrifié.
- Elles sentent pas, ce sont des oeuvres d'art, comme Mona Lisa.
- Mona Lisa c'est la dame sur un tableau qui regarde les gens?
- Exactement. Il est exposé à Paris. Y a des queues énormes pour l'admirer.
- Pourquoi?
- Parce que c'est un des plus connus au monde.
- Quand je serai grande je veux être très connue et que les gens fassent la queue pour me voir. Mais je veux pas être un tableau.
- Et tu veux être quoi?
- Présidente de la France.
- Pour faire quoi?
- Pour manger des escargots.
- Tu sais ce que c'est un escargot?
- Non.
- C'est un mollusque.
- Beurk.
- Les français adorent ça.
- C'est pour ça qu'ils font le bec en cul de poule?
- Le "bec" en cul de poule c'est pour l'accent.
- Je trouve ça rigolo, le bec en cul de poule.
- Moi aussi.
- Mais je veux pas manger d'escargot.
- Tu peux manger des pains au chocolat.
- C'est quoi?
- C'est du pain, avec du chocolat.
- Ça doit être bon.
- Oui.
- Si j'habitais Paris je mangerais des pains au chocolat toute la journée.
- Ça serait pas très bon pour ta santé.
- Ben après je boirais du vin. J'ai vu à la télé que c'est bon pour le coeur.
- ...
- Y a la plage à Paris?
- Y a la Seine.
- C'est joli?
- Oui. Mais on peut pas s'y baigner.
- Mon frère m'avait déjà dit que les français prennent jamais de bain.
- Ça c'est pas vrai. Tous ceux que je connais prennent des bains, ou en tout cas des douches.
- Tu connais tout le monde en France?
- Non.
- J'aimerais bien aller à Paris.
- Tu irais où en premier?
- A EuroDisney!
- Y a le Parc Astérix aussi.
- C'est qui Astérix?
-Un personnage français.
- Un ami de Mickey?
- Je ne crois pas.
- Je préfère Mickey.
- Mais Mickey parle pas français.
- Mais Donald oui.
- Comment tu sais?
- Ben, à cause de son bec en cul de poule, bien sur!

vendredi 18 janvier 2008

Allo Hugo


- Allo?
- Allo.
- Qui est à l’appareil?
- À qui voulez-vous parler?
- C’est Hugo, le Mexicain?
- Non. C’est Daniel, le Brésilien.
- Brésilien?
- Oui, du Brésil.
- C’est pas le Mexicain?
- Non, a priori celui-là vient du Mexique.
- Mais vous parlez espagnol?
- Non.
- Ah ben oui, bien sûr, j’suis bête, vous parlez brésilien, n’est ce pas?
- Non plus.
- Et vous parlez quoi alors?
- Portugais.
- Comme au Portugal?
- Quelle perspicacité!
- Vous êtes sûr que c’est pas du brésilien?
- Que je sache c’est bel et bien du portugais.
- Portugais? Ah, Hugo, tu as presque réussi à me faire marcher cette fois.
- J’ai bien peur que vous vous trompiez, Madame.
- Je reconnaitrais cet accent mexicain entre mille.
- Jacques, Jacques, viens écouter la dernière d’Hugo...

- Allo?
- Allo.
- Hugo?
- Daniel!
- Daniel? Qu'elle est bonne! Ca fait longtemps, hein?
- À tel point qu'on dirait ne s'être jamais parlé.
- Hugo, ton don pour les imitations m'impressionne!
- Certains aspects de cette conversation sont encore plus impressionnants.
- J'ai presque cru que tu parlais brésilien.
- Portugais!
- Attends une seconde, je te passe quelqu'un qui meurt d'envie de te parler. Marie, viens vite, c'est Hugo au téléphone.

- Allo?
- Allo.
- Hugo?
- Moi-même.
- Ça va?
- Pas trop mal.
- Qu'est ce que c'est que cette histoire de Brésil, hein?
- Faut bien rigoler.
- Parle un peu brésilien pour voir.
- "Caipirinha"?
- Bof, pas terrible.
- Non?
- J'ai vu Julio Iglesias à la TV, il roule bien plus les "r" que ça.
- Sauf que Julio Iglesias n'est pas brésilien.
- Hugo, vérifie tes sources. Ecoute ses disques et je suis sûre que tu parleras bientôt brésilien couramment.
- Laisse tomber les disques.
- Bon Hugo, tout le monde t'embrasse et toute la famille te souhaite bonne année.
- En espagnol on dit "Feliz año nuevo"
- Et en brésilien ?
- Aucune idée.
- Bisous de toute façon.
- Bisous. Et "muchas gracias".
- Cet Hugo! alors...

vendredi 4 janvier 2008

Marchandages


- C’est combien?
- Quinze.
- Et pour moi?
- Quinze.
- Mais je viens tous les jours...
- Vous devriez donc savoir que c’est quinze.
- Oui, oui, je sais.
- Alors ?
- C’est que je pensais qu’aujourd’hui vous me ferriez peut-être un petit prix.
- Le prix est indiqué là.
- Avec un écriteau de cette taille, on les voit bien les prix, hein?
- Vous en voulez ou vous en voulez pas?
- Oui, j’en veux, mais il me semble que vous devriez charmer vos clients.
- Je vous raconte une blague si vous voulez.
- Le mec à côté les fait à douze.
- Achetez-les-lui.
- Elles sont pas aussi bonnes.
- Ah ! donc vous comprenez pourquoi je les fais à quinze.
- Et si j’en prends deux d’un coup ?
- Alors ça fait trente.
- C’est pas facile.
- Si c’est facile. Deux fois quinze, trente.
- Vous ne pouvez pas être si exact.
- J’ai une calculatrice si vous voulez vérifier.
- Je sais bien combien font deux fois quinze, il ne s’agit pas de ça.
- Et il s’agit de quoi?
- De “pechinchar”.
- De quoi?
- De marchander, négocier les prix. C’est un véritable sport national au Brésil.
- Ben pas en France.
- J’ai même un copain capable de marchander le prix du bus.
- C’est vrai?
- Il marchande tout et met ses économies dans un petit cochon. Quand il est plein, il le casse et récupère les pièces.
- Et après, il fait quoi?
- Il en achète un autre.
- Vous êtes vraiment bizarres.
- Allez, j’y vais.
- Vous en prenez pas?
- Non, pas aujourd’hui.
- C’est bon, prenez la votre pomme, c’est la maison qui offre. On va pas se fâcher pour quinze centimes.
- Cadeau?
- Cadeau.
- Et si j’en prends deux, vous faites un prix sur la deuxième?